TFTT #17 – Un été en terre sauvage ? 🏖

TFTT #17 – Un été en terre sauvage ? 🏖
Image du jeu "Alba : un été en terre sauvage"

Ce mois-ci dans Tales from the Tech, j'ai organisé les choses un peu différemment face à la quantité de news qui justifiaient selon moi un papier. On abordera donc dans ce numéro 17 :

    • La futilité des autocritiques du techno-capitalisme
    • Les dernières news glaçantes en provenance de la division gaming de Microsoft
    • Mon incompréhension face à l'adoption de l'IA générative dans certains secteurs
    • Un rappel que, non, la tech n'est jamais un outil "neutre"
    • Et pour finir sur une note estivale, une reco toute en douceur 

PS : la campagne de financement de Lowreka sur Ulule s'est terminée hier à minuit et a été un succès (attendez… est-elle vraiment terminée ?!). Merci aux lecteurs et lectrices de TFTT qui ont soutenu la démarche. Vous savez qui vous êtes 🫵 🥰

Je vous souhaite une bonne lecture et un bel été à toutes et tous, avec peut-être un peu moins d'IA, un peu moins d'écrans, et beaucoup de nature 🌞

Fake Mea Culpa

Black Mirror, la célèbre série d'anticipation déprimante à dessein était de retour au printemps pour une saison 7 (déjà ?!). Si les premières saisons, made in England et Channel 4 étaient intéressantes et globalement de qualité, on peut dire sans trop se mouiller que c'est moins le cas depuis le déménagement du machin aux US sous l'égide de Netflix, en 2016 avec la saison 3, et surtout depuis la saison 4.

Cette saison 7 se compose cette fois de 6 épisodes, traitant comme à l'accoutumée de sujets différents mais toujours autour d'une thématique commune : notre rapport à la technologie, et son impact sur nos vies présentes et futures.

Black Mirror est devenu avec le temps quelque chose de différent de la science-fiction traditionnelle : on est davantage en face d'une espèce de "folklore scientifique", une lame de fond qui nous permet à toutes et tous de dire, confronté.e.s à une innovation qui nous semble indubitablement dangereuse : "Wow, on se croirait dans un épisode de Black Mirror".

Je n'ai pas vu tous les épisodes de cette saison 7, dont le niveau a l'air de rester médiocre, comme la précédente. Mais j'ai vu l'épisode qui a sans doute le plus fait parler de lui : "Common People". Des gens ordinaires.

Visuel illustrant l'épisode de Black Mirror en question


Vous êtes prévenu.e.s : ça spoile sévère sur les prochains paragraphes !

Cet épisode nous raconte l'histoire d'un couple américain lambda, un ouvrier et une prof qui vivent dans un petit pavillon. Ce n'est pas Byzance, mais on fait aller, et si ne on vit pas dans l’opulence, on vit dans le bonheur. Jusqu'au jour où l'un des deux personnages tombe irrémédiablement dans le coma, suite à une opération pour lui retirer une tumeur du cerveau.

Irrémédiablement ? Ça c'était avant Rivermind ! Une entreprise qui vous propose, au moyen d'un abonnement et en vous connectant à une sorte de "5G pour cerveaux", de remplacer la partie inopérante dudit cerveau, et donc de sortir l'être aimé du coma !

On ne va pas se mentir : même si l'idée de base est intéressante, on voit le truc arriver à 15 000 bornes, et c'est tout sauf subtil. Vont s'enchaîner des péripéties qui reflètent les problèmes que nous connaissons bien pour avoir toutes et tous été abonné.e.s à des services :

    • augmentation régulière des prix
    • nouvelles offres d'abonnement "augmentées" alors que les offres de bases deviennent moins intéressantes
    • nouvelles contraintes imposées par l'opérateur
    • ajout de publicité vocales ou vidéos selon les formats, etc.

*fin du spoil*


Bref : l'épisode critique de manière extrême (parce qu'elle touche à l'intime, au niveau physique, biologique) le modèle même et les dérives d'une plateforme comme… Netflix !

Quelle audace, pourrait-on se dire. Mais allez-vous vous désabonner de vos services d'abonnement dès la fin de l'épisode ? Que nenni.

Ce que fait cet épisode, comme Black Mirror en général, comme une vaste majorité des imaginaires produits par la SF "de plateforme", c'est rendre la tech inévitable.

Aussi déprimante soit-elle, la tech s'impose comme la seule option pour notre futur, le seul avenir qui nous reste.

Le secteur fait ainsi son mea culpa, il admet l'existence de ces dérives, il conscientise en public qu'il ne faut pas aller trop loin... ne vous inquiétez pas, on a des garde-fous !

Mais, au fond, ce pseudo mea culpa ne sert qu'à détourner notre attention vers des choses qui n'arriveront pas, alors que la dystopie se met déjà en place de manière beaucoup plus subtile.

Les Dents du Maire 

Les exemples de ce genre, il y en a des dizaines, et cela ne date pas d'hier. Ça a commencé avec Les Dents de La Mer, déjà, dont le vrai méchant est le maire prêt à tout pour maintenir l'activité économique de sa ville, et pas le requin. 

Les Dents du Maire ? C'est ce que raconte en tout cas un docu très sympa dispo actuellement sur Arte, anecdote sur Fidel Castro à la clé.

Ce qui n'a pas empêché "Jaws" de devenir le premier exemple de "blockbuster de l'été", une pratique qui va transformer l'industrie du cinéma pour toujours, et surement pas pour le meilleur. Je suis fan du premier Jurassic Park, mais il faut voir ce qu'est devenu la "franchise".

Célèbre scène des Dents de la Mer où le maire d'Amity s'oppose au shérif sur la marche à suivre : sécurité des administré.e.s ou pognon dans les popoches. Devinez qui va gagner ?

Pour revenir à Netflix, on peut aussi évoquer le succès coréen Squid Game. Sa critique du capitalisme, là encore sans grande subtilité, est poussée à son paroxysme puisque la mort y apparaît comme bien plus claire que dans la réalité (où le capitalisme tue aussi, mais bien plus sournoisement). 

L'ironie étant patente quand Netflix annonce lancer un show de télé-réalité inspiré de la série… c'est tellement un non-sens que ça en devient hilarant.

Honte toute bue


Finissons sur un autre exemple récent, d'un ridicule évident : le cas "The Outer Worlds". Cette série de jeux vidéo, dont le second épisode doit sortir dans quelques mois, est développé par Obsidian Entertainment. Un studio iconique du jeu de rôle à l'américaine, créé par des sommités comme Chris Avelone et aujourd'hui mené par des figures progressistes de l'industrie comme Josh Sawyer.

The Outer Worlds est un de jeu de science-fiction loufoque critiquant très ouvertement un capitalisme devenu spatial, des planètes entières et tout leur écosystème propre étant la propriété de corporations. Toute la communication récente du titre est d'ailleurs axée sur ce point : "une aventure sur le capitalisme, créée par le capitalisme.”

Car Obsidian a été racheté par nul autre que… Microsoft ! C'était en 2018, un petit hors-d'œuvre avant de croquer Bethesda puis Activision.

Par extension, est-ce toujours si drôle de se moquer des travers du capitalisme quand on est soi-même une composante de l'une des entreprises les plus emblématiques d'un techno-capitalisme en plein déraillement idéologique ?

Ce serait peut-être rigolo si Microsoft n'était pas en train de virer des gens par pelletées (oui, on va en reparler un peu plus bas dans cette newsletter), si l'entreprise n'était pas en train de fourrer de l'IA partout y compris dans ses jeux, si l'entreprise ne venait pas d'annoncer l'augmentation du prix desdits jeux, dont The Outer Worlds 2, à 80$ (quand le premier épisode ne coutait que 60$), etc, etc.

Vraiment, les blagues à base de "on est conscients de rapporter de l'argent à cette sale boite qu'est Microsoft, mais regardez comme on reste hyper edgy malgré ça !!!"…

Ça fait encore marrer des gens, ce genre de vannes ? Moi je trouve ça d'une morgue absolue.

Bref : les critiques du capitalisme en provenance du capitalisme ne servent qu’une chose, le capitalisme. En le rendant plus acceptable, parce qu'acceptant la critique (quand elle est contrôlée).

Bullshit.

The Outer Worlds 2, ce célèbre jeu qui moque le capitalisme tout en appliquant tous ses codes.

Les calculs sont pas bons, Satya

Microsoft en 2 ans : 200 milliards de bénéfices, 28 000 personnes sur le carreau.

Alors, oui, je sais. J'ai déjà parlé longuement de Microsoft dans le dernier numéro de TFTT… Je vous assure que je ne fais pourtant pas une fixette gratuite sur mon ancien employeur, même s'il est évident que toutes les histoires qui touchent à ses activités, notamment gaming, ont un poids émotionnel un peu différent pour moi.

Non, vraiment, si je vous parle encore de Microsoft (après les numéros 1, 4, 14 et 16), c'est que l'entreprise est littéralement en train de tout faire pour devenir la boîte la plus détestée de l'histoire de l'industrie du jeu vidéo. Et cela alors que cette industrie compte déjà Electronic Arts dans ses rangs ; chapeau les artistes !

L'entreprise a ainsi annoncé le 2 juillet pas moins de 9000 nouveaux licenciements, soit 4% de ses effectifs, une coupe drastique qui fait suite à plus de 6000 licenciements au mois de mai dernier, et nous amène à un total hallucinant de 28 550 licenciements en 2 ans et demi, soit entre 10 et 15% de ses effectifs totaux…

…un chiffre qui reste théorique tant la gestion des RH est opaque chez Microsoft, de par son habitude de recourir au portage salarial, et autres pirouettes destinées à payer moins d'impôts.

La raison de ces vagues de licenciements ? Une chose est sûre : ce n'est pas parce que la boite va mal. En tout cas, pas financièrement : 200 milliards de dollars de bénéfices sur la même période de janvier 2023 à aujourd'hui, et une réussite insolente en bourse, surfant sur la hype incontrôlable autour de l'IA générative, lié à ses investissements auprès d'OpenAI notamment.

Le comparatif qui pique dur. Tableaux produits par Frandroid.

C'est principalement, une nouvelle fois, la section gaming de Microsoft qui est touchée, comme c'était déjà le cas en janvier 2024 : 1 900 personnes avaient alors été licenciées, soit près de 10% des effectifs axés sur le jeu vidéo à l'époque. La raison invoquée : supprimer les "redondances" soi-disant créées par les rachats successifs de Bethesda en 2020 pour 7,5 milliards de $, puis surtout d'Activision Blizzard pour la bagatelle de 69 milliards de $, plus grosse acquisition de l'histoire de l'entreprise, et de loin. 

Microsoft avait-elle pourtant promis aux différents organes garantissant la concurrence, aux États-Unis comme ailleurs, de ne pas licencier suite à ces acquisitions massives ? Bien sûr. Il n'avait donc fallu attendre que 3 mois à l'époque pour comprendre que c'était un mensonge.

Des "redondances" d'ailleurs inexistantes pour la plupart, comme l'exemple français de Bethesda le montre bien (je l'évoquais en mai 2024). Rappelons aussi que Microsoft/Xbox vient d'annoncer en catimini la fermeture de toutes ses activités dédiées aux réseaux sociaux en Europe, pour tout gérer désormais avec une agence sans doute bien plus bon marché, basée en Afrique du Sud.

Une information sortie ici, mais que je suis en mesure de confirmer pour le marché français via mes propres contacts. Hâte de voir la tronche des posts réseaux sociaux français désormais. Je sens qu'on va avoir le droit à de nouvelles pépites de traduction made in Microsoft.

Cette fois, au moins, le géant de Seattle n'essaye pas de nous mentir : il est assez clair que la seule justification de ces licenciements et de ces coupes diverses est de financer les investissements en IA (notamment générative) de l'entreprise.

Et l'occasion, peut-être, de gérer les activités concernées à grand renfort d'agents IA ? Venant d'une boîte menée par un freak comme Satya Nadella et qui a dans ses rangs des tarés comme ce producteur, cela ne serait pas surprenant, mais rien n'a encore été confirmé en ce sens.

Les conséquences concrètes de ces licenciements sont multiples :

    • The Initiative, le pseudo "studio AAAA" qui avait signé des dizaines de noms ronflants de l'industrie et travaillait sur un remake assez excitant de Perfect Dark depuis des années, a purement et simplement été fermé. Le jeu montré il y a peu a été annulé. Andouillette AAAAA.
    • Everwild, l'arlésienne du studio culte Rare est annulé, et son équipe licenciée. Phil Spencer, boss de Microsoft Gaming, disait encore il y a quelques mois que c'était un jeu qu'il aimait particulièrement. Philou, l'homme qui transforme tout ce qu'il aime en 💩
    • Les effectifs de Turn10 (Forza Motorposts) sont divisés par deux
    • Des équipes chez les acquisitions Raven (Activision) et King sont aussi concernées par les coupes
    • Des studios externes, jusqu'ici soutenus par Microsoft, sont aussi concernés (et a peu près aussi surpris que nous) comme par exemple chez les Romero mari et femme ; le couple avait pourtant rencontré les équipes Microsoft le jour avant l'annonce… mais n'a pas été prévenu du retrait des investissements. Classe.
    • En revanche, pas de mauvaises nouvelles pour le seul studio français concerné, et accessoirement mon chouchou, Arkane Lyon. On peut peut-être remercier le droit du travail français… mais pour encore combien de temps ?
Phil Spencer en train de jouer à un jeu dont il va bientôt virer tout l'équipe !

Les entreprises, me direz-vous, n'ont pas de cœur. Microsoft particulièrement.

Ce n'est pas une surprise, elle qui maintient à tout prix un contrat avec une armée génocidaire par simple amour du pognon, rappelons-le (une information confirmée depuis par un rapport de Francesca Albanese, rapporteuse spéciale de l'organisation sur les Territoires Palestiniens occupés, citant expressément Microsoft).

Mais même en jouant le robot et mettant de côté l'aspect humain… aucune de ces décisions n'a stratégiquement de sens.

Tant d'investissements, tant de recrutements, tant de travail pour améliorer l'image d'une marque en déperdition (stratégie dont j'ai été un maillon actif pour la France entre 2019 et 2022), tant de discours positifs finalement absolument creux…

Quel manque de vision. Et pourtant, plutôt que de virer Phil Spencer (ce qui serait la seule décision logique après tant d'atermoiements), on vire des employé.e.s par milliers.‪

Vous me direz, c'est la même boite qui avait recruté des milliers de personnes pendant la période Covid sans anticiper, logiquement, que l'activité gaming et "remote" allait redescendre à des niveaux normaux une fois les confinements successifs terminés.

C'est aussi la même boite qui avait fait de la réduction de son impact carbone un sujet capital en 2020, sans être capable d'anticiper correctement que son engagement sur le développement de l'IA générative allait tout exploser du point de vue de cet impact.

De tristes et dangereux peintres.

Mais que voulez-vous, la bourse préfère se repaitre de licenciements à répétition et de quelques "abracadabrIA", plutôt que valoriser des choix stratégiques payants.

De la pure magie noire.

Notons toutefois que ce manque de vision pourrait totalement se retourner contre les huiles de Microsoft : si le vent devait tourner sur le front de l'IA (ce qui arrivera selon moi tôt ou tard) ou si la relation avec OpenAI devait pourrir, l'entreprise pourrait bien se mordre les doigts très très fort.

Perso, je sortirai alors le pop-corn, comme devant le duel Musk-Trump 🍿

Ce changement de stratégie, si on peut appeler ça ainsi, s'accompagne en tout cas d'un changement complet de culture d'entreprise. Et si l'entreprise va très bien financièrement, on l'a dit, il n'en est peut-être pas de même pour ce qui est du moral des troupes, comme le chronique cet excellent article de Cassim Montilla pour Frandroid, qui reflète tout à fait mon expérience au sein de la filiale française.

D'y découvrir l'obligation faite aux employés d'utiliser Copilot, l'outil de bureautique IA hyper intrusif de Microsoft, ce qui recoupe parfaitement tout ce qu'on vient de se dire.

Ces terribles vagues de licenciements ne seraient donc peut-être que la partie émergée de l'iceberg, contre lequel le vaisseau amiral Microsoft pourrait bien se cracher sous peu.

Too big to fail, Microsoft ? Peut-être, mais comptez sur moi pour jouer du violon en cas de naufrage 🌊

Je ne comprends pas

Comme si l'éco-anxiété ne suffisait pas, voilà que je ressens de plus en plus fortement une forme diffuse mais réelle "d'IA anxiété."

Je n'en PEUX PLUS d'entendre parler d'IA à toutes les sauces, dans tous les domaines, et la vaste majorité du temps pour ne rien dire.

Et il y a certains domaines où je tolère encore moins de voir l'IA générative utilisée. Je précise bien "générative", parce que c'est surtout de cela dont je parle ici, et dont tout le monde parle de toute manière.

Ainsi, Je ne comprends pas quand je vois des militants écologistes ou des "entrepreneurs à impact" utiliser ouvertement ChatGPT pour leurs posts et leurs actions, alors que l'impact (!) environnemental de l'outil est très bien documenté. 

Qu'ils sont nombreux ces entrepreneurs "responsables" à se pavaner à longueur de posts LinkedIn sur leurs processus de travail "boostés à l'IA" ! Qu'elles sont nombreuses, ses petites boîtes, ses assos et ONG, et parfois même ses médias "écolos" qui utilisent des visuels générés par IA 🥲

Immonde visuel généré par IA pour illustrer la "population mondiale dans sa diversité", poussé par un média coopératif intéressé par les sujets environnementaux… je ne sais pas à quel niveau d'ironie un truc pareil se place.

Les médias, justement : je ne comprends pas quand je vois des journalistes illustrer leurs posts et articles avec des images générées par l'IA au mépris des droits d'auteur, alors que la presse est en train de se faire dépecer par les mêmes procédés, par les mêmes entreprises. Note : remplacez "journalistes" par "graphistes" ou "artistes" dans le point ci-dessus, et ça marchera à peu près pareil.

Encore cette semaine, j'ai vu un post sur les tomates en tant qu'exemple des dérives de l'agro-industrie, avec un très laid visuel généré par IA pour illustrer le propos. Mais pourquoi ? Pourquoi ne pas illustrer ce post avec n'importe quelle photo de…. tomate ? Ça ne manque tout de même pas sur internet, y compris dans les banques d'images gratuites, bon dieu 🍅

Pire exemple découvert hier : un mec aux Nations Unies s'est dit que créer des réfugiés générés par IA serait une bonne idée ?! SÉRIEUSEMENT ?

Je suis fatigué.

Que les anciens "Web3 enthusiasts" deviennent des "AI enthusiasts" au bout de 3 prompts et demi sans rien y piger, en mélangeant au passage ce que représente l'IA au global de la simple IA générative, soit…

D'ailleurs, que l'IA au sens large en tant que domaine technique puisse avoir des intérêts pour la transition écologique, d'un point de vue scientifique notamment, je ne le nie pas non plus, même s'il faudra calculer dans le détail les externalités positives et négatives.

Mais qu'autant de représentants de secteurs qui devraient être rebutés par tout ce que représente l'IA générative s'y mettent sans se poser de question, voilà qui me laisse pantois. Et montre encore une fois l'énorme besoin d'éducation sur ces sujets.

Là, certains me sortiront les arguments habituels : "toi t'es écolo, et t'écris ça comment, sur un bout de bois ?".

Non j'écris ça sur un Mac, je partage ce contenu via une newsletter et des réseaux sociaux. Ai-je le choix vu mon activité ? Non.

Mais j'ai fait le choix de ne jamais utiliser l'IA pour générer du texte ou des images, alors même que je bosse dans la communication, alors même que j'ai exercé mon activité dans le domaine de la tech.

Et je vous assure que tout va bien.

Qu'on ne me la fasse pas à l'envers : nous avons le choix.
Nous faisions sans l'IA générative il y a 1 ou 2 ans pour la grande majorité d'entre nous.

Explorons les contre-arguments habituels :

  • "Oui mais j'ai pas le temps". On a toujours le temps. Si pour faire votre activité vous avez "besoin" de ChatGPT, c'est qu'il y a une c*uille quelque part : dans votre bande passante, dans votre staffing, ou dans la vision que vous avez de votre job. Et ça, ce serait en partant du principe que l'IA générative rende les humains et les entreprises plus efficaces, ce qui reste à prouver à ce stade, quelque soit le domaine.
  • "Oui mais si je ne l'utilise pas, je rate le coche". Ah, la fameuse course à l'armement, qui mène notre belle planète vers de beaux horizons. Nous sommes encore bloqué.e.s sur cette idée de performance à tout prix pour réaliser des activités bien souvent vides de sens, alors même qu'il est clair qu'il va nous falloir ralentir, n'en déplaisent aux néo-populistes à la Charles Consigny.

    Alors en skippant l'IA vous allez rater le coche de quoi ? Rater ce coche-là comme vous avez raté celui du metavers ou des NFT ?

    Bon, évidemment, tout ça n'est que peu valide si c'est votre boss qui vous impose l'utilisation de l'IA au chausse-pied (coucou Microsoft Copilot), et vu le contexte il va m'être difficile de simplement vous dire de changer de boulot… Mais si vous en avez la possibilité, faites-le, franchement.

    La pertinence de l'IA générative dans les activités pros existent après tout surtout dans la tête des patrons et des investisseurs.
Excellent résumé de la pensée complexe de Charles Consigny (chez BFM TV)
    • "L'IA est déjà là, alors autant l'embrasser en développant une vision plus éthique". Ce dernier point me touche forcément un peu plus. Nombreux sont en effet celles et ceux qui pensent que, comme de toute manière l'IA est déjà là, la question qui se pose n'est pas celle de la pertinence ou de l'utilité de ChatGPT, mais plutôt de comment se sortir du quasi-monopole d’OpenAI.

      Et bien je trouve ça très mignon, mais pardonnez mon pessimisme : bon courage pour développer une IA générative éthique face à des mastodontes pareils et sans moyens. Si l'UE ne régule pas, ce qui n'a pas l'air d'être sa vision à ce stade, rien de tout cela n'arrivera. Plug baby plug, hein Manu.

L'avantage, c'est que comme nous l'avons déjà évoqué à plusieurs reprises dans TFTT, toute cette hype et ses conséquences pourraient ne plus durer si longtemps que ça. Allez, faisons une petite liste à la Prévert :

    • On ne sait toujours pas comment on va nourrir l'IA générative en électricité de l'aveu même d'Altman, donc rebelote sur le questionnement : roue libre, jusqu'à quand ?
    • Ce même Altman disait aussi il y a peu : "[l'IA générative] ne devrait pas être une technologie à laquelle on fait autant confiance" car elle hallucine… ben alors, pourquoi vous vous lui feriez-vous confiance dans le cadre de vos activités professionnelles ? 🤔
    • D'ailleurs, une bonne partie des entreprises qui vendent leurs services comme étant des "Agents IA" raconteraient en fait totalement des craques, alors attention à la chute.
    • Et puis comme le notait un article de Wired récemment, le backlash contre l'IA est également en train de devenir réel et puissant, donc revenir à un travail sans IA générative pourrait bien être the next cool thing ;)

Voilà, je ne comprends pas pourquoi certaines personnes utilisent l'IA générative contre toute logique. Je ne comprends pas la hype autour de cette technologie. Je ne nie pas que l'IA générative a déjà changé nos vies et nos habitudes, et il en restera forcément quelque chose, de bon ou (probablement plutôt) de mauvais.

Mais je ne crois pas que l'IA générative dans sa forme actuelle a de l'avenir. Alors je ne vais pas lâcher l'affaire, et je ne perds surtout pas espoir de voir le truc se retourner.

Continuons à emmerder les "IA enthusiasts", ils n'ont pas encore gagné.

Parodie de l'accueil de n'importe quelle plateforme tech depuis 1 an : votre outil favori est maintenant salopé par l'IA. Vous n'aimez peut-être pas ça, mais nos investisseurs adore ça". Source.

La tech n'est pas un marteau

Nous parlions juste au-dessus du besoin d'éducation pour faire face à l'arrivée de l'IA générative, même dans des secteurs où son utilisation devrait mener à une levée de bouclier généralisée.

Et bien le problème est que, face à la mauvaise foi la plus pure, l'éducation ne suffit pas.

Il en est ainsi, depuis quelques semaines, de nombreux débats autour de l'utilisation des écrans, des réseaux sociaux et de l'IA par les plus jeunes générations.

Le débat a été relancé à la mi-juin. D'abord par Emmanuel Macron, qui a annoncé sur France 2 vouloir "interdire les réseaux sociaux aux moins de 15 ans", sans donner beaucoup de détails et en réaction (en bon politique) à un fait divers sordide.

Avant que Catherine Vautrin, la Ministre de la Santé, ne relance en annonçant vouloir interdire "l'exposition aux écrans des enfants de moins de 3 ans", dans le JDD. C'est vrai qu'annoncer son envie d'interdire des trucs, ça colle assez bien à un journal d'extrême droite.

 

Comme à chaque prise de parole de ce type, on assiste d'un côté à des soutiens très prononcés d'habituels rétrogrades, et en miroir à des réactions outrées de psychologues spécialistes (ou pas) du numérique.

Mon point ici, honnêtement, ne va pas être de donner les bons et les mauvais points à chacune des positions. J'ai des convictions, mais je ne pense pas connaitre le sujet assez en profondeur pour trancher de manière claire. 

Cependant, il y a un point sur lequel je ne supporte plus de lire des âneries, d'un côté comme de l'autre du débat : la tech ne serait qu'un outil, c'est l'usage que l'on en fait qui compterait vraiment.

Vraiment ?! On peut encore dire ce genre de connerie en 2025 sans que la terre entière vous tombe dessus à bras raccourcis ? 

Non, la tech n'est pas un outil comme les autres.

Un smartphone n'est pas un marteau. L'IA n'est pas une fourchette.

Dire que la tech est comme n'importe quel outil, qu'après tout avec un marteau on peut aussi bien enfoncer un clou que tuer quelqu'un, que toute la différence ne serait que l'usage qu'on en fait et l'éducation qu'il y a derrière…

Cette idée est au mieux un raccourci très maladroit, au pire de la bêtise profonde.

Pourquoi ?

Parce que, vous le savez pertinemment si vous lisez cette newsletter, tous ces objets et ces services issus du monde de la tech sont fabriqués avec une arrière-pensée : devenir "indispensable" à votre quotidien, être présent à vos côtés le plus souvent possible pour créer, ni plus ni moins, une forme d'addiction.

Je n'ai pas besoin de vous le démontrer du côté du smartphone ou des écrans de manière générale, par exemple. Chacun sait, moi le premier, comme nous vivons désormais avec presque constamment un écran vissé devant les yeux, comme perpétuellement collé au fond de nos paumes. Une espèce d'augmentation cyberpunk, sans le côté cryptico-cool.

Mais sachez qu'il en sera de même avec ChatGPT. Qu'il en est de même avec de nombreuses mécaniques de jeux vidéo comme celle développées par Fortnite, ou bien par les offres de streaming à la Netflix, nous en avons déjà parlé ici.

Alors voir des psychologues spécialisé.e.s dans le rapport des enfants au numérique dire que "la tech est un outil, il faut savoir bien l'utiliser" cela en semblant pleinement ignorer les mécaniques prédatrices mises en place par les grands groupes de la tech (souvent avec l'aide d'autres psychologues grassement payé.e.s) voilà qui ne manque pas de m'énerver très rouge 😡

Un exemple qui fait l'actualité : peut-on vraiment dire que la tech est neutre quand la vaste majorité des figures étatiques et des entreprises continue d'utiliser Twitter comme si de rien n'était, alors que dans le même temps la plateforme met volontairement en avant des contenus fascistes, et pousse même son propre outil d'IA générative (Grok) qui balance des dingueries littéralement nazies toutes les 3 secondes ?

Un peu de sérieux.

Source.

Je ne vais pas m'éterniser sur le sujet. D'autres en ont parlé ailleurs et bien mieux, alors rendons à César : si cette problématique vous intéresse, je vous conseille ce super article de Louis Derrac, ou cet autre encore, plus récent. Louis est un compère techno-critique aux analyses toujours extrêmement bien placées.

Voici la conclusion de ce premier article :

« Il faut de l'éducation, de l'éducation, et encore de l'éducation. Mais pas n'importe quelle éducation. Certainement pas une éducation limitée aux risques et aux « bons usages » du numérique. Il faut, je pense, se donner les moyens d'une éducation techno-critique, émancipatrice, politique. Une éducation qui autorise à développer de nouveaux imaginaires, notamment ceux d'un numérique acceptable, et l'horizon d'alternatives numériques. Et s'il faut interdire, puisque certain⋅e⋅s ne jurent que par ça, interdisons la publicité, les dark pattern, les monopoles, la lucrativité abusive, ou encore la captation de données personnelles. »

Voilà qui rappellera quelque chose aux défenseurs de l'environnement :

Si l'écologie sans lutte des classes, c'est du jardinage… et bien l'éducation à la tech sans visée techno-critique, c'est Adibou. Basta.

Adibou reste à mes yeux le fruit d'un trip au LSD un peu trop fort, mais passons.

La reco

Terminons cette 17ème édition de Tales from the Tech par une touche de douceur, si vous le voulez bien. Ça ne fera de mal à personne.

"Alba : un été en terre sauvage" est un petit jeu qui se termine en une poignée d'heures, une balade paisible sur une petite île espagnole où il va s'agir de nettoyer les plages, sauver des animaux, remplir un "pokédex" avec les oiseaux du coin... et lutter contre un projet d’hôtel de luxe qui va détruire une réserve naturelle ! S'il n'est pas vraiment punk, il est pleinement bio, je l'ai donc calé dans ma liste de jeux biopunk.

C'est très mignon, et par extension très cucul, mais c'est un vrai moment de détente et un super moyen d'évoquer les dangers de la pollution et du surtourisme avec un enfant. Bémol quand même : le jeu se lance sur un vol en avion... les imaginaires du tourisme vont encore devoir évoluer un poil.

Pour y jouer, vous pouvez vous le procurer sur la plateforme européenne Gog.com pour 15€ (il est aussi à 20 balles sur Switch), ou bien gratuitement si vous avez un compte Apple : le jeu est jouable sur Mac, smartphone ou tablette et est présent dans l'offre Apple Arcade, que vous pouvez prendre pour 1 mois gratuitement.

En revanche : pensez à vous désabonner avant la fin de cette "période d'essai", ça m'embêterait que vous donniez de l'argent à Tim Cook à cause de moi ;)

Key visual du jeu Alba : un été en terre sauvage


Voilà, c'est tout pour ce mois de juillet, et c'est déjà pas mal !

On se retrouve en août pour un 18ème numéro de Tales From The Tech qui devrait revenir à un format plus traditionnel… ou pas ?

D'ici là, n'hésitez pas à partager le format autour de vous, cela me ferait très plaisir. Et à me faire part de vos retours.

Vous pouvez le faire en commentant l'article sur tftt.ghost.io, ou directement via mes différents réseaux.

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Merci à toutes et tous,

Thomas ✊

PS : Tales from the Tech est garanti sans IA générative, pas sans fautes