TFTT #BONUS – Une belle hausse de 29%, bravo Microsoft 🙃

Après avoir cassé le format de « Tales from the Tech » la semaine dernière, voilà que je casse le rythme. Rien ne va plus.

Bon, il faut dire que ce récent cassage de format vous a visiblement plu : c'est le meilleur numéro de TFTT en termes de taux d'ouverture et de clics, et ce « malgré » une audience grandissante. Merci à toutes et tous !

Mais voilà : une incartade en amenant à une autre, je vous propose aujourd'hui, une dizaine de jours seulement après le numéro 4 de TFTT, un édito bonus – rassurez-vous, je ne compte pas faire cela tous les mois.

Sans parler du timing, je me suis longuement posé la question de la pertinence de publier cet édito, dont le sujet principal sera le dernier "environnemental sustainability report" de Microsoft – un rapport publiant, chaque année, les évolutions associées aux objectifs de réduction de l’impact environnemental de l’entreprise. 

Pourquoi cette hésitation ? D'une part parce que le sujet a déjà été traité par nombre d’excellents commentateurs de l'économie numérique et du développement durable, comme Tristan Nitot ou Jean-Marc Jancovici. D'autre part parce que la semaine dernière, dans TFTT, j'ai déjà longuement tapé sur mon ancien employeur, à propos de sa stratégie dans le gaming. A force, ces prises de position très critiques pourraient commencer à ressembler à une vendetta personnelle.

Mais, finalement, j'ai pris un peu de recul. Ce faisant, il m’apparaît évident que ma prise de parole peut apporter un éclairage différent. Si je parle autant de Microsoft, c'est parce que je connais bien l'entreprise, que j’ai décidé de quitter en janvier 2022. Mais c’est surtout parce que j'ai pris part personnellement aux différentes annonces que je critique : le gaming, la semaine dernière, et le développement durable, ici, étaient justement deux des principaux axes de mon portefeuille de responsabilités quand j'étais encore "communications manager" chez Microsoft France. J’ai porté avec mon nom propre ces anciennes déclarations. Si elles devaient s’avérer mensongères ou trompeuses, j’ai participé à diffuser des mensonges ou des tromperies.

Mais, et c’est le plus important, si je parle autant de Microsoft dans TFTT, ce n’est pas par envie d’une revanche, d’une rédemption, ou je ne sais quoi. C’est simplement que TFTT est une newsletter techno-critique, et que dans ce domaine, Microsoft fait absolument n'importe quoi depuis fin 2021-début 2022 ; date coïncidant avec ma démission puis mon départ. J’insiste sur la notion de coïncidence ici, même si rétrospectivement, certains signaux (comme la sortie de Windows 11 en octobre 2021) ont pu accélérer cette décision – j’y reviendrai.

Revenons maintenant à ce sustainability report, publié le 15 mai dernier. Il n'a pas fait tant de bruit que cela chez nous, hormis ce gros article des Échos, repartagé par Jancovici. Il faut dire que l'on est déjà passé à la polémique suivante, liée à l'IA, sans surprise.

Avec ce report, c’est indéniable : Microsoft fait fort. Après avoir, en 2 ans, détruit toute la néo-crédibilité qu'elle s'était construite dans l'univers du jeu vidéo, voici donc que l’entreprise décide d'en faire de même sur la partie environnementale.

Microsoft avait en effet été le premier des grands de la tech à dégainer des objectifs hyper ambitieux pour réduire son impact environnemental, en début 2020. Mais je ne vais pas vous refaire l'histoire, je l'ai déjà raconté en détails dans le premier numéro de cette newsletter, qui évoquait le technosolutionnisme.

Voici cependant ce par quoi je concluais cet épisode datant de février dernier : "Car de chapelle, avant, j’en avais une dans le domaine de la Tech. Microsoft. J’y ai bossé durant des années extrêmement enthousiasmantes, où j’ai appris énormément. Je n’aurais jamais rejoint Google, Apple, Amazon ou Meta. Je voyais en Microsoft quelque chose de différent, de plus responsable, une expérience plus ancienne qui protégeait des dérives. De la même manière, Bill Gates est à mes yeux un milliardaire plutôt responsable à l'aune de sa gigantesque fortune, si on le compare avec ses collègues à richesse analogue.

Je crois encore en cette différence, pour Gates comme pour Microsoft. Mais j’ai peur que cette dernière, dans son empressement à prendre le virage de l’intelligence artificielle avant les autres, enterre bien vite ses ambitions environnementales. Elle tient pour le moment un double discours, opposant éthique et business dérégulé, difficilement tenable sur le temps long."

Et bien voilà, ce temps est arrivé plus vite que je ne l'escomptais. Trois mois se sont écoulés entre la publication de ce texte et celle du rapport environnemental annuel 2024 de Microsoft, et c'est officiel : je ne crois plus en cette différence. Microsoft ne vaut pas mieux que les autres. Cela m'afflige de le dire, mais je m'étais trompé sur toute la ligne, comme je commençais à le comprendre dans cet extrait cité juste au-dessus. Naïveté de ma part ? Peut-être.

Car, trêve de suspens, qu'a révélé ce rapport environnemental de Microsoft ; que l'entreprise a au moins la décence de continuer à publier, pour le moment ?

Les émissions de CO₂ de Microsoft ont augmenté de plus de 29% depuis 2020. Sa consommation d’eau, de 23 % sur la même période. Ce qui creuse un écart considérable par rapport aux objectifs fixés, comme on peut le voir sur le graphique ci-dessous. Dans ce cadre, comment l'entreprise pourrait-elle atteindre ses ambitieux objectifs environnementaux ? La réponse est simple : elle ne le pourra pas. Peu importe ce que tente de justifier son Président, Brad Smith. La cause de ce dérapage, vous la connaissez déjà : le développement de l’IA, qui a fait exploser la consommation en électricité et en eau des datacenters de l'entreprise, ainsi que leur nombre.

D'autant que Microsoft, au-delà de ses propres innovations dans le domaine, est le principal investisseur d'Open AI. L'enfant terrible mais surtout le leader technique et médiatique du domaine de l'intelligence artificielle. Une entreprise portée par le Jésus autoproclamé du milieu, Sam Altman – lui-même inquiet de la consommation énergétique induite par les évolutions de l'IA.

Sam Altman : un Elon Musk de l'IA, à ce stade un peu plus fréquentable, mais dieu sait pour combien de temps. Open AI : une entreprise dont le dernier coup de maître est assez symptomatique. Car après nous avoir expliqué à longueur d'interviews (rarement réussies) que, non, l'IA ne vole pas les artistes – voici qu'elle se retrouve à voler la voix de Scarlett Johansson en guise de référence questionnable au film "Her".

Se pose selon moi surtout une question, désormais. Microsoft a-t-il un cap stratégique clair ? Parce qu'à regarder ces dernières années, on peut vraiment se le demander. Quelques exemples :

• L'entreprise, en faisant ses annonces "durables" en 2020, n'avait-elle pas anticipé l'avènement de l'IA à peine quelques années plus tard, avènement qui met à bas tous ses calculs préexistants ? A moins, bien sûr, que tout cela n'ait été envisagé que comme une stratégie de greenwashing depuis le début 🤔
  
• Sur le même axe, dès 2021 avec l’annonce puis la sortie de Windows 11, on pouvait détecter un double discours difficilement tenable. Comment afficher des objectifs environnementaux très ambitieux tout en poussant à la benne des dizaines de millions de PC encore fonctionnels mais plus compatibles avec ce nouvel OS ? Car la fin de support de Windows 10, c’est pour l’an prochain 🗑
  
• Et que dire de ces recrutements massifs pendant et à la suite du covid ? L'entreprise n'avait visiblement pas anticipé que les courbes records entrevues pendant les confinements liés à la période n'allaient pas durer. Résultats des courses : des licenciements records, des vies brisées, une image là encore largement écornée 😷
  
• Côté gaming, enfin. Après des rachats pléthoriques et gigantesques, se font jour des errements stratégiques absolument hallucinants. Là encore, j'ai déjà évoqué largement le sujet le mois dernier, mais résumons avec l'exemple du studio Tango Gameworks. Après avoir fait du pied aux développeurs japonais pendant des années, la division Xbox décide de fermer le seul studio dont elle dispose sur le sol nippon ! Et que dire de cette citation de Matt Bounty*, le boss des Xbox Game Studios : "nous avons besoin de plus petits jeux qui nous offrent du prestige et des récompenses." Comme Hi-Fi Rush, l’excellent dernier titre de... Tango Gameworks, par exemple ? 🤦‍♂️

Microsoft serait devenu un poulet sans tête ? Ou, comme tous les autres gigantesques groupes de la tech, il est désormais impossible de le diriger de manière cohérente ? La machine est si grosse qu'elle devient impossible à manœuvrer correctement ? Ce serait chercher à ses dirigeant.e.s des excuses qu'iels ne méritent pas. Le profit reste évidemment la seule valeur cardinale. Et peu importe l’humain et les valeurs : le cours de bourse de Microsoft bat encore des records ces derniers jours.

A titre plus personnel, je commence à me poser quelques questions. Un an après mon départ d'Ubisoft surgissaient les Unes – salutaires – sur les affaires de harcèlement au sein de l'entreprise. Je viens de faire étalage de ce qui s'est passé pour Microsoft depuis mon départ. Autant vous dire que je ne donne pas cher de l'avenir de Shadow. Serais-je donc un "porte-malheur" ? Maintenant en freelance, j'essaye de transmettre la poisse à un maximum de clients 😱

Blague à part : je n'en voudrais pas à mes anciens collègues de Microsoft d’être énervé.e.s par mes diatribes pour de bon, avec "l'acharnement" dont je fais preuve à l'égard de mon ancienne entreprise. Mais plutôt que de me porter grief, je leur demanderais assez sereinement de considérer la question suivante : est-il pertinent de continuer à représenter une entreprise qui est capable à ce point de dire tout et son contraire, et cela en l'espace d’une poignée de mois à peine ?

L'avantage, avec Amazon, Meta, ou bien encore toutes les entreprises que touche Elon Musk de près ou de loin, c'est qu'elles n'essayent même pas de faire semblant. Et de conclure : entre les vrais méchants et les faux gentils, je ne sais pas ce qu'il y a de pire.

PS : promis, je ne parlerai pas de Microsoft dans le numéro 5 de TFTT (bon, sauf si l'entreprise annonce encore des dingueries d'ici là).

*J’ai volontairement écorché son nom, comme il n’a même pas été capable d’écrire correctement le nom des studios dont il annonçait le siphonnage dans son email diffusé en interne chez Bethesda et Microsoft 🤡