TFTT #8 – Le techno-capitalisme est ringard, soyez plutôt biopunk 🧑‍🎤

Biopunk is the future
Le meme Brat est-il déjà ringard ? Inception.

Ce mois-ci dans Tales from the Tech, vous trouverez :

1. un Édito sur la « liberté d'expression » à la sauce Elon Musk et Pavel Durov

2. une nouvelle rubrique pour suivre l'actu tech "En Bref"

3. un Grand Format qui va se moquer de nos habitudes techno-capitalistes, et proposer un futur vachement plus (bio)punk

4. une reco techno-rock’n’roll 🤘

L'Edito

Durov, Musk : différents, mais unis dans leur vision infecte de la « liberté d'expression »

Pavel Durov et Elon Musk

Et si la lune de miel entre les gouvernements et les milliardaires de la tech était terminée ? Se pensant longtemps au-dessus des lois, ces derniers vont peut-être y repenser à deux fois. Les annonces coup sur coup de l'arrestation en France de Pavel Durov, patron de Telegram, et du blocage au Brésil de X, l'ex-Twitter devenu enfer digital depuis la reprise par Elon Musk, tendraient à nous le faire croire. Ces couperets étatiques sont d'autant plus savoureux que ces deux zigotos sont des libertariens pure souche.

Musk et Durov se présentaient en champions de la liberté d'expression avant même ces événements, mais cela va depuis crescendo, supportés qu’il sont par leurs bruyantes hordes de fans. Des US à la Russie, tout ce que compte internet de courageux anonymes (généralement d'extrême droite) tapotent véhéments sur leur clavier contre ces décisions, dans ce qui ressemble fort à un gigantesque « on peut plus rien dire » rebondissant sur les murs du web (et de mon indifférence) comme un écho larmoyant.

Poétique, n'est-ce pas ? C'est que, personnellement, tout cela me met en joie. Et les bonnes nouvelles, il faut savoir les saisir au vol, ces derniers temps.

Rentrons un peu dans le détail. Commençons par Musk, parce que c'est le cas le plus simple à régler. Le sud-africain à la tête de Twitter se présente en effet comme un « absolutiste de la liberté d'expression », mais son affirmation ne tient pas la route plus de deux secondes.

Rappelons ainsi que toute l'affaire brésilienne part du refus de Musk de fermer une poignée de comptes Twitter brésiliens ayant encouragés ou participés à la tentative d'insurrection du 8 janvier 2023 par les partisans de l'ancien président d'extrême-droite, Jair Bolsonaro. Tentative d'insurrection qui ne peut que rappeler celle qui a touché les Etats-Unis deux ans plus tôt, presque jour pour jour. Trump, Bolsonaro, même combat, mêmes méthodes.

La différence semble être que le système judiciaire brésilien est un poil plus efficace que son homologue américain. Ce qui en dit long sur l'état de la démocratie US, mais passons : étant français, je n'ai pas de leçons de démocratie à donner à qui que ce soit. #BarnierDemission

Musk, soutien désormais officiel de Donald Trump, défend donc les voix des partisans de son clone Brésilien. Pourtant, il n'est pas aussi agressif dans la défense des voix s'élevant contre des autocrates. On en a eu la preuve en Turquie, comme en Inde. Défense de la "liberté d'expression" en faveur de Trump et Bolsonaro, censures en faveur d'Erdogan et Modi. Quatre leader populistes d'extrême droite. J'ai besoin de vous faire un dessin ?

Elon Musk
Illustration de Laura Normand pour l’article de The Verge cité plus haut

Le cas Durov est plus complexe. Telegram, c'est cette app de messagerie positionnée comme pleinement cryptée et ne délivrant jamais son contenu à qui que ce soit, y compris gouvernements ou appareils judiciaires. Cela peut avoir des aspects positifs, en protégeant des sources journalistiques ou des militants vivants sous régime dictatorial.

Mais il n'est pas difficile d'imaginer les dérives potentielles. Ne menant aucune forme de modération by design, Telegram est depuis longtemps la plateforme de discussion de choix de groupes terroristes et criminels. C'est notamment dans le cadre de ce dernier point que la justice française l'estime complice : « La Justice considère que l’absence de modération, de coopération avec les forces de l’ordre et les outils proposés par Telegram (numéro jetable, cryptomonnaies…) le rend complice de trafic de stupéfiants, d’infractions pédocriminelles et d’escroqueries », comme l'explique TF1.

Si le sujet Telegram est complexe, je pense que la vision européenne de la liberté d'expression est un bon guide pour se positionner. En France, notamment, la liberté d'expression est garantie, sauf dans les cas où elle met en danger le pays (une tentative d'insurrection par exemple), ou des individus ou groupes d'individus (xénophobie, homophobie, terrorisme, etc.). Aux US, la notion est beaucoup plus permissive. La différence est la même pour ce qui est du port d'arme, vous remarquerez. CQFD. 

Je ne vais pas ici régler le problème ardu de l'opposition entre liberté et sécurité, étant moi-même très critique de l'approche toute sécuritaire que nos gouvernements appliquent depuis le début du siècle, à l'aune de l'avènement du terrorisme global. Mais il doit y avoir un curseur juste à placer entre la vision incontrôlée de la liberté d'expression de Durov, et celle totalement biaisée de Musk.

La modération d'une plateforme sociale est un sacerdoce. Twitter s'y cassait déjà les dents avant l'arrivée de Musk, et que dire de la gestion de Meta sur le sujet. Mais si les grands de la tech mettaient autant d'argent dans le développement d'une modération équilibrée qu’ils n’en mettent dans la chimère de l’IA générative, nous aurions sans doute des modèles mieux gérés.

Vous me direz, l'IA est déjà évoquée comme solution de modération, par OpenAI par exemple. Mais étant donné les capacités de l'IA pour discerner le bon du mauvais, le vrai du faux… je reste perplexe.

En Bref

Nous arrivons déjà au n°8 de TFTT 😱

Alors continuer à développer « La Suite » de nos anciens numéros à intervalles réguliers devenait compliqué. Je vous propose donc désormais de vous partager chaque mois les quelques news tech qui m'ont marquées, sans pour autant "mériter" selon moi un éditorial complet : 

    • Open AI tente de faire vivre la hype de l'IA et mène une levée de fonds de 100 milliards de $. Bonne nouvelle pour Sam Altman ? Preuve de consanguinité du secteur, dit plutôt cette excellente analyse 🐍
    • Ambiance morose dans le milieu du jeu vidéo, avec force licenciements depuis 2 ans. En France, cela se double d'exécrables conditions de travail, comme l'ont montré une série de récents articles 😢 
    • Au rayon bonne nouvelle, Apple a été condamné par l'UE à payer 13 milliards au fisc irlandais… ce qui est un rappel à l'ordre aussi bien pour la marque à la Pomme que pour Dublin 🙏
Margrethe Vestager, Commissaire à la Concurrence de la Commission européenne,qui a fait condamner Apple ; Commission qu'elle va bientôt quitter (Photo by Nicolas Tucat/AFP)
    • Le DG de Fnac Darty deviendrait-il décroissant ? Il vient d'annoncer qu'il est ok pour vendre moins, en s'intéressant davantage aux réparations d'objets électroniques. Ah, il a un livre à vendre, aussi… 🛠
    • À propos de transition de la tech pure vers un modèle différent, parlons d'une nouvelle plus perso : parmi mes autres activités, j’ai le plaisir de devenir associé de Lowreka, un projet visant à démocratiser les solutions low-tech ! Vous ne savez pas ce qu'est la low-tech ? Pas de panique, on va bientôt en reparler sur TFTT 👀

Le Grand Format

"Techbros are just weird" : ringardiser le techno-capitalisme pour mieux embrasser des futurs désirables

Elon Musk pointé du doigt par Tim Walz

Nous avions évoqué, dès le numéro 1 de Tales from the Tech, l’idée de construire de nouveaux imaginaires, pour mener notre monde vers des futurs plus désirables. Des futurs non pas froidement technophiles ou bêtement technosolutionnistes. Des futurs qui ne rejettent pas pour autant les progrès technologiques des décennies précédentes. Des futurs, enfin, qui ne versent pas dans les poncifs post-apocalyptiques.

C'est à la faveur de ces imaginaires positifs, écologiquement conscients et technologiquement responsables, que l'on pourra penser un futur désirable pour le plus grand nombre. En Occident, comme dans des "Suds" à la fois exploités et bercés par nos soft power combinés.

Pour construire ces imaginaires, il y a des prérequis. L'un d'eux est de choisir les bons modèles. Or, on ne peut pas dire que l'on s’y applique actuellement. Car parmi les univers les plus porteurs de « rêves » à notre époque, le petit monde des grands de la tech tient une place de choix. Musk, Zuckerberg, Bezos ou Altman aujourd’hui, Jobs et Gates avant eux, sont les rockstars de notre siècle.

Ces hommes façonnent un monde lisse et corporate-compatible à souhait, tout engoncé derrière une vitre tactile. Ils designent nos vies du matin au soir, nous outillent et nous informent, filtrant presque toutes nos relations aux autres via leurs applications et algorithmes. Tant et si bien qu'il ne semble y avoir aucune échappatoire : ils sont notre futur, puisqu'ils sont indéniablement, irrévocablement, notre présent

Weird :

« Adjectif informel anglais désignant une situation ou un individu. Traduction : bizarre, étrange. »

Pourtant, rien n'est jamais irrévocable. Prenons un exemple récent. Au lendemain de la (première ?) tentative d'assassinat dont a été victime Donald Trump, le 13 juillet dernier, beaucoup estimaient que sa victoire était désormais inéluctable. Il est vrai que cette image poing levé et oreille en sang dépassait toutes les espérances de ses propagandistes.

Et pourtant : un changement de candidat Démocrate plus tard, beaucoup de choses ont changé (qui aurait pu s'imaginer 🎼). Ce n'est pas seulement parce que Joe Biden inquiétait par son état de santé ; c'est aussi grâce à une rhétorique simple mais d'une indiscutable efficacité.

Plutôt que de s'épuiser sur le terrain des réponses point par point ou de la montée des invectives de plus en plus dures, techniques s'avérant peu efficaces, les Démocrates ont décidé de dire les choses de la manière la plus simple possible : Trump, comme J.D. Vance, son nouveau colistier, comme les Républicains plus largement, sont "weird". Ils sont chelous. Ringards. Leur manière de voir le monde est tout bonnement bizarre.

À l'inverse, Kamala Harris, son propre colistier Tim Waltz, ou les jeunes figures Démocrates, dégagent une énergie plus « normale ». C'est de la comm ? Pas seulement, quand on regarde les réactions de la famille de Tim Walz à son discours, en comparaison des liens familiaux « particuliers » qu'entretient Trump avec les siens.

Tim Walz takes the stage at the DNC – ABC News

Le débat de la semaine dernière n'a pas été différent : comprenant bien que s'opposer frontalement à Trump ne servait à rien, Harris lui a simplement tendu des pièges dans lesquels il est tombé à chaque fois, montrant encore une fois à quel point il est un gigantesque « weirdo » 🐶🐱

Dire les termes :

« Locution verbale : S'exprimer avec honnêteté sur une situation ou un événement, en exposer la réalité. »

Ce changement de discours Démocrate m'inspire un exercice : et si, pour nous pousser vers un avenir plus responsable mais aussi plus désirable, il suffisait de « dire les termes » ?

Car on constate là aussi qu'argumenter point par point, face à un public déjà plus convaincu par des influvoleurs dubaïotes que par des scientifiques, fonctionne assez mal. On l'a vu encore récemment avec le travail de Bon Pote face à une vidéo climatosceptique d'un Youtuber d'extrême droite. J'admire le boulot, mais je doute de son efficacité.

Et que dire du fait d'aller sur le terrain des invectives, domaine dans lequel l'outrance des Hanouna et consorts ne pourra jamais être battue ? Ne nous abaissons plus à ça, c’est une perte de temps, épuisante moralement.

Alors : plutôt que de tenter de les raisonner, pourquoi ne pas ringardiser des modèles économiques et sociaux vieillissants, ainsi que leurs figures médiatiques conservatrices ?

Plutôt que de les dénoncer, pourquoi ne pas se moquer ouvertement de comportements anachroniques, et valoriser des comportements nouveaux et « rafraichissants » ?

Réfléchissons à cela en s'intéressant plus spécifiquement à la société française. Comme toute société, elle a ses particularités, avec ce qu'elle aime particulièrement, et ce qu'elle rejette plus ou moins en bloc. Ces intérêts et ces rejets évoluent avec le temps, bien entendu. Exemple : les JO étaient perçus comme négativement par un grand nombre de français avant leur brillante cérémonie d'ouverture, alors qu'il était ensuite bien mal venu de les critiquer.

Au sein de la société française, chaque « groupe » (socio-économique, géographique, d'âge, etc.) a, pareillement, ses intérêts et ses rejets. Ce qu'il trouve « cool », ce qu'il trouve « ringard ».

On peut évidemment descendre jusqu'au niveau de l'individu : j'ai longtemps trouvé que la tech c'était plutôt « cool ». Pourtant : j'ai aussi toujours trouvé que les porteurs de smartwatchs (à part les sportifs d'un niveau quasi olympique, peut-être) avaient l'air de gros ringards. C'est ma matrice personnelle. Ma vielle Timex à cristaux liquides vous salue bien bas ⏱

J'ai explosé de rire plusieurs fois en lisant cet article du hipster de service chez The Verge : « Oui, je porte deux montres. Pourquoi pas vous ? »Mais parce que c'est complètement débile, Antonio !

Cela dit, on peut tout de même tirer un trait commun entre les français, et sans doute plus largement entre les occidentaux : pendant très longtemps, défendre l'environnement, s'inquiéter de l'état de notre planète, questionner les conséquences du capitalisme, manger bio, arrêter d'acheter des trucs neufs ou préférer prendre le train à l'avion… et ben c'était pas cool. C'était un truc de pisse-froid, de hippie anti-succès, de peine-à-jouir, de rabat-joie, de jaloux.

Cela reste encore le cas pour une bonne partie de votre entourage et dans vos familles, j'en suis sûr. À votre boulot, aussi, où il est souvent difficile de parler écologie à votre boss sans se voir opposer des levés d'yeux. Même entre nous, d’ailleurs : quand on parle écologie et changement de modèle, on dégaine tous assez vite des blagues sur les bolasses enflammées, les sarouels, les aires de Zaz et un passage par Rennes 2. Pourtant, vouloir protéger notre avenir à tous, ça devrait être cool, non ?

À l'inverse, malgré tous leurs abus, les magnats de la tech restent « cools ». Elon Musk fait certes grand débat de par ses positions politiques de plus en plus extrêmes, mais VivaTech et Macron continuent de l'accueillir en grandes pompes, Twitter continue à être utilisé sans sourciller par la majorité de ses utilisateurs historiques. Et en contre-poids, Zuckerberg redeviendrait même cool…?! Comment a-t-on donc transformé ces geekos à tendances sociopathiques en rockstars ?

Voilà donc ce que la stratégie des démocrates pour battre Trump m'inspire. Voilà comment je pense que l'on peut aider à faire s'inverser ces deux tendances : « l'écologie c'est chiant » / « la tech c'est cool ». En disant les termes. Et en rigolant au passage. Que la ringardise change de camp

C’est certes un sacré programme, mais avouez qu'il est excitant : ringardiser un ancien monde qui se croyait invulnérable et en embrasser un nouveau, conscient de sa vulnérabilité. Montrer aussi que la tech peut rester cool… si elle devient raisonnable : plus humaine, moins déconnectée. Plus utile, moins gadget.

Les techno-cinglés

Il n'y a pas plus cool que la tech. C'est en tout cas ce que vous dirait votre banquier. La tech est devenue une valeur refuge. Pensez-donc, tous les cours de bourse des gros du domaine ont été multipliés plusieurs fois depuis le début de la crise du covid.

Prenons l'exemple d'Apple. Au sommet de son « cool », au moment de l'avènement de l'iPad en 2010, l'action de la boîte créée par les Steve (Jobs et Wozniak) vaut dans les 11$. Aujourd'hui, l'action vaut… 219$. L'augmentation est si monstrueuse qu'elle en est ridicule. Pourtant, qu'a fait Apple de si révolutionnaire pour justifier une telle envolée ? Rien. En tout cas rien de comparable à l'iMac (1998), l'iPod (2001) ou l'iPhone (2007). Tim Cook, son CEO, ne fait d'ailleurs pas rêver grand monde, en comparaison au grand manitou Steve Jobs.

Il y en a un qui fait rêver plus d'un banquier : Elon Musk. À tel point que nombre d'analystes estiment qu'il y a un phénomène de « bulle » autour des entreprises détenues par le milliardaire sud-africain, grâce à son « incroyable charisme ». En effet, Tesla, SpaceX, « TwiXtter » ne gagnent pas d'argent, mais restent à flot parce que Musk continue à surprendre à coups de déclarations fracassantes. Ses positions extrémistes commencent à peine à écorner le tout.

Elon Musk : il n'y a pas meilleur cas d'étude pour évoquer l'évolution de l'image des entrepreneurs de la tech. Ringard, puis rockstar, et maintenant vieux tonton raciste, tout cela en 15 ans à peine. Un sacré tour de force. Jamais personne n'aura autant représenter le « futur » de la tech, puis ses dérives les plus crasses.

Revenons au début des années 2010 : Musk commence à être reconnu comme un visionnaire. Patron de Tesla depuis 2008, on le voit apparaître pour la première fois dans le classement Forbes des « meilleurs CEO » américains cette année-là. Il vient même d'apparaître dans Iron Man 2, pour un court cameo, confirmation qu'il était pour Jon Favreau l'une des inspirations du personnage incarné par Robert Downey Jr.

Comme le raconte Lucie Ronfaut dans un numéro de sa newsletter : « C'était peu ou prou la représentation classique des entrepreneurs du numérique dans la fiction des années 2010 : des génies incompris, asociaux, néanmoins des héros potentiels. Comme tout le monde, je trouvais Tony Stark insupportable, mais amusant. J'ai cru aux mensonges d'Iron Man. » Bon, depuis, Downey Jr. est passé d'Iron Man à Doctor Doom, ce qui doit nous mettre la puce à l'oreille : les films de super-héros aussi sont ringards.

Alors : « génie incompris », Musk ? Surtout un gros mytho, qui sait certes quand acheter au bon moment des innovations qu'il n'a conçu en rien. Sur quoi a-t-il menti ? A peu près tout. Je vous laisse jeter un œil à ce génial site recensant toutes les propositions non tenues par Elon Musk. En 2021 encore, il annonce la conception d'un robot humanoïde qui remplacerait d'ici peu les humains dans toutes les tâches pénibles – un proto a été présenté cet été en Chine : c'est une cata.

Encore une preuve que Musk est un ringard : ce truc inutile s’appelle l’Optimus Prime II(Photo by Costfoto/NurPhoto via Getty)

Musk n'est pas juste un mytho. Il est littéralement fou à lier. Si vous avez lu l'épisode 5 de TFTT sur les mythes de la tech, vous en savez déjà un rayon. Cela va plus loin : il a récemment assassiné symboliquement sa fille trans avant de virer complotiste et fasciste. Mais les germes étant déjà bien présents : le lien entre libertarianisme (un point clé de la "pensée" de Musk) d’un côté, et droite extrême de l'autre, n'est historiquement plus à prouver.

Alors pourquoi, malgré toutes ces tares, Elon Musk continue à être invité partout, mis en avant comme une figure de proue de la tech, défendue par des hordes de fans sur Twitter ? C’est le fruit d'une culture libérale centenaire : la richesse fascine plus que jamais.

Son succès, discutable sur bien des points, fascine également. Cette stature d'entrepreneur imbattable, inébranlable, c'est la mascotte du capitalisme débridé. Des hommes providentiels, héros des temps modernes, qui se sont bien sûr fait tous seuls, sans aide de l'état, sans pécule familial conséquent, que nenni. Ben voyons. 

Riche et « successfull » ? Musk est surtout un mec hyper bizarre, voire carrément flippant, enfermé dans sa propre boucle auto-réalisatrice.

Musk = weird.

Extrait d'un tweet de Musk proposant de faire un enfant à Taylor Swift...
Elon Musk est déjà flippant IRL, mais que dire de sa version IA dégueulasse.

Revenons une nouvelle fois au début des années 2010. En 2011 disparaît Steve Jobs, sans doute la plus grande rockstar de la tech, celui par lequel le monde des vitres tactiles est advenu, dynamitant du même coup nos vies et nos habitudes.

Avant même sa mort, Jobs était quasi inattaquable. A-t-il construit Apple seul de ses propres mains, comme le raconte sa légende ? Pas du tout. N'était-il pas un tyran absolu ? C'était la rançon du génie. Sa gestion calamiteuse des suicides chez Foxconn ? Il n'y est pour rien. La gestion même de sa propre santé, refusant de soigner son cancer autrement que par des méthodes pseudo-scientifiques ? On n'en parle presque pas. 

Jobs était déjà le prototype du techno-pape cinglé, mais nous étions à une ère où critiquer ces « génies » était difficilement acceptable. Il y avait pourtant tant à dire, comme l'a très bien fait Anthony Galluzzo dans son excellent « Le Mythe de l'Entrepreneur », dont je vous conseille la lecture – ou ce très bon résumé chez Blast.

Jobs = weird.

Jobs, Musk, et tous les autres, sont dangereusement chelous. Leurs obsessions sont ridicules. Musk (encore) et Bezos avec leur concours de taille de pénis dans l’espace. Zuckerberg et son bunker à Hawaii. Sam Altman et la voix de Scarlett Johansson.

Ces mecs sont weird. 

Mais ne nous cantonnons pas qu'aux figures les plus connues : avez-vous entendu parler de Prospera ? Je vous conseille cet excellent papier du Monde sur cette enclave libertarienne (oui, encore eux), au Honduras. Un paradis pour techbros où tout est privatisé. Une grosse partie des investissements y est tournée vers la possibilité d'une vie éternelle. Encore une sacrée tripotée de start-uppeurs techno-tarés, ce qui est très bien résumé dans cette phrase magique d'un résident de l'île de Roatan : « Il ne nous manquait plus que ça : des gringos éternels au Honduras. »

Pavel Durov aurait déclaré avant son arrestation « avoir plus de 100 enfants. » Je cite ce post sur le sujet : « Pourquoi les CEO de la tech sont-ils des gens si bizarres, avec leur complexe du messie ? Pourquoi les laissons-nous avoir tant d'impact sur nos vies ? »

Si encore ces ringards nous livraient de vraies innovations utiles. Mais est-ce bien le cas ? Car la tech d’aujourd’hui est construite sur des mensonges. Quand l'on voit comme Elon Musk, Mark Zuckerberg ou Elizabeth Holmes mentent sur les capacités réelles de leurs entreprises, il faut bien comprendre que cela a déteint sur toute la culture de la tech. Le Web3, les cryptos et les NFTs devaient changer le monde ? LOL. Le métavers nous ouvrir une nouvelle réalité ? On attend. La révolution de l'IA générative ? Vous savez ce que j'en pense. 

Vous avez vraiment envie de vivre et d'élever vos enfants dans un monde designé par ces gens-là ? C'est la question qu'il faut se poser, et agir en conséquence.

Pour citer le grand Douglas Rushkoff, quand il parle des milliardaires de la tech : « Il ne faut pas se dire que c’est effrayant : c’est drôle. Il faut qu’on apprenne à rire de ces gens, plutôt que d’être horrifiés. Ce sont eux qui ont peur. Nous, nous devons être autre chose. »

Être autre chose. C’est ambitieux, et cela passera par un plus large changement de modèle. Il faut se souvenir d'une chose : la tech n'est que la dernière incarnation d'une idéologie néolibérale qui montre un peu plus ses limites chaque jour.

Et oui : si la tech est un repaire de gens bizarres, que dire des tenants du néolibéralisme.

  

Le néolibéralisme, la ringardise (dés)incarnée

Ronald Reagan est mort en 2004. Margaret Thatcher, en 2013. Ils ont tous les deux lâché les rênes du pouvoir autour de 1990. Pourtant, leur héritage est toujours vivace, ses conséquences sur nos vies, insondables. Beaucoup de politiques de droite vénèrent ces deux figures qui ont imposé la loi du marché au-dessus de tout le reste, la croissance comme seule croyance. « Croyance », car l'on voit bien comme elle ne peut exister de manière infinie sur un monde aux ressources qui n'ont rien d'infinies, elles.

Leur vision est d'une simplicité primaire : l'individu avant le collectif. Ce qui explique le démantèlement des services publics, la diffusion de contes autour du « ruissellement » et de la « méritocratie ». Pour porter la société, il faut consommer, chacun doit ainsi gagner plus pour consommer plus et réaliser des achats statutaires pour mettre en avant sa réussite.

Cette approche vous semble simpliste ? Avec du recul, c'est exactement ce que j'ai fait dans la première partie de ma vie professionnelle, pour autant. Avant de me rendre compte de la vacuité du truc. Je doute d'être le seul dans ce cas. Les parodies de ce modèle font d'ailleurs recettes, dans un paradoxe assez intense.

Plus largement, la situation politique que notre pays traverse est l'exacte illustration de cette fin de règne du néolibéralisme. Le modèle craque de partout. Les services publics s'effondrent par manque de financements, mais les coupes répétées de Bruno Le Maire ne suffisent plus à endiguer l'évidence : un modèle basé uniquement sur la croissance ne fonctionne plus, surtout quand on refuse de faire payer les plus riches.

Ben oui, les seuls gagnants du double mandat macroniste sont le top 5% des plus riches, qui ont engrangé les cadeaux fiscaux et creusé un fossé toujours plus gigantesque avec le reste d’entre nous. En échange de quoi nos chers seigneurs financent l'extrême droite, par intérêt financier plus que par « conviction catholique ». Merci du retour sur investissement, les gars.

Plus que jamais, il y a mieux à faire que de tomber dans le piège des divisions racistes et religieuses, tendu traditionnellement par la droite quand le peuple se rend compte que, quand même, les mecs là-haut se gavent un peu trop. La meilleure chose à faire est de se rendre compte à quel point ce vieux modèle politique et économique est ringard. Comme l'est Michel Barnier, rentré en politique sous Pompidou.

Photo d'un jeune déjà ringard à côté d'un mec ringard depuis les années 90. Précisions : Attal, célébré comme « premier premier ministre gay », sert la main tout sourire à un mec qui avait voté contre la légalisation de l'homosexualité.

Bref : les partisans du retour à l'âge de pierre, ce ne sont pas les écolos. Ce sont les gars comme Barnier. Barnier = weird ? Je ne sais pas, Hanouna a dit qu'il était « rassurant ». Et oui, c'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleurs conservateurs.

Faire du consumérisme un truc de naze

L'un des piliers du néolibéralisme est bien entendu le consumérisme à tout crin. C'est en consommant toujours plus que l'on finance ce modèle glouton en ressources, humaines comme matérielles.

Pour revenir à Apple, son changement de modèle sur ce point est très intéressant, et montre le manque d'imagination de la tech et de ses fans. S'il est indéniable que je ne porte pas Jobs dans mon cœur, il faut aussi admettre que c'est sous sa supervision que les équipes du géant de Cupertino ont inventé le futur ; qu'il soit souhaitable ou pas, c'est un autre débat.

Cet enchaînement d'annonce d'objets plus innovants les uns que les autres sur un laps de temps d'à peine plus d'une décennie est très impressionnant. Mais si vous avez déjà un MacBook et un iPhone, avez-vous vraiment besoin d'un iPad ?

Et c'est bien pire depuis : Apple ne fait que nous revendre année après année les mêmes produits, légèrement améliorés. Un peu plus de puissance (pour mieux jouer à Candy Crush), un appareil photo de meilleure qualité (pour prendre les mêmes selfies mal cadrés), et maintenant l'intégration de l'IA, dans des modalités qui ressemblent toujours à du gadget. Le tout plus écologiquement, bien sûr ! On ne va pas nous le faire, cette pomme-là n'est pas bio.

 

À titre personnel, je n'hésite désormais plus à me moquer ouvertement des gens se disant fiers d'acheter un nouvel iPhone tous les 1 ou 2 ans. Cela n'a aucun intérêt d'un point de vue matériel comme financier, si ce n'est évidemment rappeler au monde que vous avez les moyens de vous le permettre. Claquer un SMIC (version NFP) dans un téléphone une fois par an n'a rien de cool. C'est archi chelou. 

Je dirais absolument la même chose des fans de domotiques qui n'ont qu'à claquer des mains pour changer la couleur de la lumière de leur salon en bleu ou pour lancer un cappuccino sur leur machine à café connectée à Alexa. Les gars, c'est archi ringard.

J'ai déjà dit ce que je pensais des porteurs de smartwatchs, mais allez, deuxième rasade : pour moi, qui réside actuellement à Palerme, la smartwatch est devenue synonyme de touristes américains descendant des énormes paquebots de croisière MSC. Ils portent presque tous des Apple Watch, se trimballent en groupe de vingt, collés à une oreillette d’où ils écoutent à peine ce que leur raconte un guide désabusé. Surtourisme, surpoids, surconsommation. Les humains de WALL-E, mais en vrai. Weird.

WALL-E, Disney/Pixar

Je pose la question très sérieusement : pourquoi devrait-on prendre des pincettes face à ces comportements, quand nombreux sont ceux qui n’affichent que sourires méprisants et yeux levés au ciel quand on parle impact environnemental, sobriété numérique, besoin de nouveaux modèles ?

Au final, ce sont les tenants du modèle néolibéral dominateur qui sont les ringards. Les cool kids, ce sont ceux qui réfléchissent à de nouveaux modèles de vie, d'alimentation, de travail, d'éducation. Embrasser le changement, là est la « fraîcheur ».

Cela vous semble utopiste, voire même impossible ? Citons la grande autrice de Science-Fiction, Ursula K. Le Guin, avant de parler plus concrètement d'autres futurs possibles :

« Nous vivons au sein du capitalisme. Son emprise sur nos vies semble inéluctable. Mais il en fut de même pour le droit divin des rois. Tout pouvoir humain peut être renversé par des résistances et des velléités de changement de la part d'autres êtres humains. Ces résistances, ces changements, ils trouvent bien souvent leurs origines dans l'art, encore plus souvent dans notre art, l'art des mots ».

Une citation assez formidable issue de ce non moins formidable discours datant de 2019.

 

Un monde plus frais

Il est toujours utile de rappeler que le mot originellement anglais « cool » est une traduction littérale du mot « frais ». Alors, si dire « cool » est un peu ringard, dire « frais », c'est hyper cool. Même si dire « frais » n'est peut-être déjà plus très cool en 2024… Vous me suivez ?

J'aime bien l'idée de « fraicheur ». Dans un monde qui se réchauffe à cause de nos abus, elle m'évoque la nature et la nouveauté. Tout ce dont on a besoin pour réenchanter le futur.

Dans le numéro 4 de TFTT, nous évoquions Alain Damasio et son dernier ouvrage technocritique. J'y disais ceci :

« L'idée qui m'a le plus touché dans le livre, c'est cette idée d'investir l'avenir, technologie incluse, de manière positive. Car nous avons besoin d'imaginaires positifs pour parler de notre futur à tous. Damasio est un romancier de l'imaginaire, il le sait bien. Les auteurs de SF ont une responsabilité politique, celle de battre le capitalisme sur le terrain du désir. 
Si nous ne le faisons pas, nous laisserons ce futur être façonné par des individus aux imaginaires d'une tristesse sans nom. Musk, Bezos et consorts ont tous été abreuvés à la mamelle de la SF américaine du siècle dernier, et leur vision du monde est nourrie par de tristes imaginaires cyberpunk et post-apocalyptique.
C'est ce qui a enfanté des idées complètement déconnectées comme le métavers ou l’Apple Vision Pro. Déjà, un smartphone ainsi quasi-greffé à la main, on ingère des contenus algorithmés et séquencés pour venir taper aux bons endroits de notre cerveau, et ainsi nous provoquer un tant soit peu de plaisir. Un design de la dépendance qui nous aliène, nous assèche.
On préférera à ce "techno-capitalisme" une vision différente, "biopunk" comme l'appelle Damasio. Un mix entre ce que la tech peut nous apporter de bon et un retour salutaire à la terre. »

J'ai beau être assez critique de ces dernières œuvres, j'aime beaucoup Damasio. Il a une approche hyper « fraiche », et dit lui-même avec une grande netteté comme le capitalisme est en train de devenir ringard

Alors, si l'on veut remplacer ce monde full-tech, cette société néolibérale, on le fait avec quoi ? Des pistes, il y en a plein.

Pour retrouver ce plaisir tout à fait associé à celui de la tech – la résolution de problèmes pratiques grâce à des dispositifs ingénieux – il existe beaucoup de nouvelles approches hyper intéressantes.

 

Biopunk, solarpunk : rafraichir les villes, reconstruire les campagnes

Dans un monde qui se réchauffe à toute vitesse, les solutions pour permettre à nos grandes villes de rester habitables ne viendront pas d'incroyables inventions financées par des milliardaires de la tech. La nature reste la meilleure clim naturelle, comme l'évoque ce gros document de l'ADEME, en plus d'être le moyen de décarbonation ultime. Si, en France, certaines municipalités s'attèlent déjà (doucement) au problème, de nombreux architectes et porteurs de projets font des propositions d'une grande créativité.

Meme piqué au compte Instagram "Earthly Education"

Sur ce pan du design urbain « solarpunk », j'aime beaucoup le travail de l'architecte néerlandais Dustin Jacobus, qui explore aussi bien des visions fantastiques de citées modernes et verdoyantes, que des projets architecturaux très concrets pour nos villes d'aujourd'hui comme de demain.

Je ne sais pas vous, mais moi j'ai très envie de me balader dans cette rue/parc

En parallèle, on peut déjà noter des projets très concrets, qui utilisent intelligemment les externalités négatives de la tech pour mieux les intégrer au tissu urbain. En France, on peut citer l'exemple de Plantation Paris, un « rooftop maraîcher » avec de grands potagers en plein cœur du néo-quartier de La Chapelle Internationale, et surtout une serre chauffée par un datacenter. Il va falloir transformer l'essai car le projet reste trop peu intégré à la vie du quartier, mais l'idée est bonne. Des idées comme celles-ci, aussi cools que bénéfiques, une entreprise comme Cultures en Ville en sort régulièrement.

Certains seraient sans doute tentés ici d'évoquer ce qui peut paraître de prime abord comme LE projet biopunk par excellence, tant il a récemment été couvert par la presse : la construction de Nusantara, la nouvelle capitale de l'Indonésie. Un projet pharaonique destiné à protéger les organes décisionnaires indonésiens de la montée des eaux inexorable qui menace Jakarta.

Le projet se veut en effet « écolo », bannissant l'automobile, avec une végétalisation omniprésente et appliquant le concept de « ville du quart d'heure ». Mais dans les faits, elle va détruire une énorme partie de la jungle de Bornéo, et surtout laisser derrière elle la vaste majorité des 30 millions d'habitants de Jakarta, comme l'explique ce docu ARTE. De toute manière, les projets pharaoniques n'ont, par essence, rien de punk, ni de bio.

Image conceptuelle du projet de néo-capitale indonésienne, Nusantara

On parle toujours des villes, mais il ne faudrait pas oublier les campagnes. Si la nature y est omniprésente, elle n'y est pas moins malmenée. Surtout, les habitants s'y sentent abandonnés, les services publics périclitant au rythme des coupures budgétaires. Les conséquences sont multiples. S'il y a forcément des biais à une telle donnée, il est par exemple intéressant de noter que la présence d'une gare SNCF ou d'un bureau de Poste à proximité impacterait le niveau de vote pour le RN.

Comme on ne peut pas attendre grand-chose du macronisme sur le rétablissement des services publics "en régions" ou sur de vrais engagements environnementaux, des activistes et élus locaux rusent pour apporter des solutions innovantes, comme dans le Clunisois, entre navettes électriques et labos de transformation alimentaire. Là encore, la clé sera sans doute dans les initiatives locales plutôt que dans les projets pharaoniques.

Envisager un futur biopunk ou solarpunk passe aussi beaucoup par les imaginaires, comme le disait Ursula K. Le Guin. Très rares il y a quelques années encore, ces imaginaires commencent à irriguer diverses formes d'expression, des plus indépendantes au plus mainstream. Des formes artistiques qui évoquent notre lien au vivant de manière émotionnelle mais aussi parfois extrêmement physique.

C'était le cas notamment chez Disney pour un film qui n'a étonnamment pas du tout été promu. L'excellente (et perturbante) série Scavengers Reign du côté de HBO traite également de rapprochement entre la mécanique et la nature de manière hyper visuelle.

En France, nous avons parlé du travail d'Alain Damasio, il faut aussi parler du superbe jeu de gestion Synergy. Son identité visuelle, très inspirée du célèbre dessinateur Moebius, sert d'écrin à un jeu de gestion de ville où on doit permettre à sa petite communauté de vivre en parfaite harmonie avec l'écosystème nous entourant. J'ai d'ailleurs commencé une liste de jeux avec ces thématiques sur Sens Critique, que je complèterai au fur et à mesure de mes découvertes.

Les low-tech : un peu de douceur dans ce monde de tech

Les solutions peuvent être trouvées du côté de la nature, mais aussi parfois au cœur de la pure ingéniosité humaine. Comme je l'évoquais « En Bref » un peu plus tôt dans cette newsletter, j'ai eu le plaisir de rejoindre récemment Lowreka, un projet visant à la démocratisation des low-tech, en tant qu'associé.

Et bien, les low-tech, c'est quoi ? Ce sont des dispositifs techniques qui doivent répondre de la manière la plus durable et accessible possible à un besoin exprimé. Étant en pleine acculturation sur le sujet depuis quelques semaines, je ne peux que conseiller le travail de la structure Biosphère. Elle met en place une série d'expérimentations low-tech dans des milieux aussi variés qu'un bateau, le désert mexicain ou... un appart de 30m2 en région parisienne.

C'est à la fois très pédagogique et hyper complet : y sont abordées des thématiques aussi diverses que l'alimentation, le retraitement naturel des déchets ou les vêtements du futur.

Je n'en dis pas plus pour le moment. Je ne voudrais pas vous spoiler le Grand Format que je vous prépare sur le sujet 👀

Si la low-tech a cette vibe stylistique « Tatooine mais avec des plantes », autant vous dire qu'elle va trouver preneurs assez vite – Image : Biosphère du Désert

Perma-computing et médecine pirate : réparer les objets et les gens

Un autre domaine connexe fait de plus en plus parler de lui ces dernières années, jusque dans les pages de médias grand public comme Le Monde : le permacomputing. Comme l'explique dans l'article Marloes de Valk, artiste, chercheuse ainsi que l'une des têtes pensantes du mouvement, « le permacomputing célèbre la possibilité d’être créatif avec des ressources informatiques limitées. Nous mettons en œuvre des principes de conception qui considèrent les contraintes comme des éléments positifs de la culture informatique. »

L'objectif des porteurs du mouvement ? Offrir une contre-voix/voie à ceux qui envisagent le numérique comme une corne d’abondance, en matière d’infrastructure ou de consommation de données. La démarche va plus loin qu'une simple idée de « sobriété numérique » : si on voit par exemple de plus en plus de sites web développés en mode « bas carbone », ils continuent de fonctionner en s’appuyant la plupart du temps sur du matériel high-tech récent et des plateformes logicielles peu respectueuses des données personnelles. Le permacomputing remet lui en cause l’entièreté de l’infrastructure, et pas uniquement son design. 

Le français Vincent Moulinet applique ces principes au domaine du jeu vidéo. Le gaming étant un de mes domaines de prédilection, je trouve la démarche excitante, et j'ai envie d'essayer tous ses prototypes. Il organise un festival à Arles en octobre prochain sur ces sujets, avec l'agence Fabbula, évènement qui comprendra notamment une game jam dédiée : « l’enjeu sera de trouver du plaisir collectif dans des limites auto-imposées, par exemple en n’utilisant que du hardware considéré comme défectueux et récupéré localement. »

Le permacomputing, c'est donc innover dans le domaine de la tech tout en réparant et récupérant, avec des devises très proches des débuts de l'internet et de la vision des hackers primordiaux. Ainsi qu’une vision « do it yourself » qui rappelle la low-tech.

Permacomputing: as geek as it gets

Nous avons parlé de réparer des objets avec des visions alternatives de la tech, mais si on allait plus loin en parlant de… réparer les gens ? 

C'est exactement ce que propose la « médecine pirate ». Alors, attention, on parle santé ; on peut donc vite tomber dans des dérives antivax et complotistes. On est sur autre chose ici : réfléchir à des méthodes certes « do it yourself », mais pleinement médicales, pour rendre des soins normalement très couteux plus abordables. C'est cette vision radicale que raconte cet article de l'excellent média tech alternatif 404.

Image du "microlab" imaginé par Mixæl Swan Laufer,l'une des figures du mouvement de la médecine pirate

Du punk à la sauce bio, des technologies douces, de la permaculture 2.0 et de la médecine de "Piraaaaaate !"… je trouve tous ces nouveaux concepts passionnants. Bien plus que les vieux modèles ringards que l'on continue à nous imposer.

Je continue ainsi à espérer qu'un jour il sera devenu normal, quand vous inviterez des amis à la maison, de leur présenter votre ingénieux four solaire fait-maison, ou la plateforme web locale d’échanges que vous avez mis en place avec vos voisins, plutôt de leur montrer tout fier votre nouveau SUV ou votre dernier iPhone.

Oui, je continue à espérer qu'un jour les décisions qui nous protègent toutes et tous soient vues comme cools, tandis que celles qui nous font du mal deviennent complètement ringardes.

Dit comme cela, ça semble pourtant évident, non ?

Les recos

 Ce mois-ci, je vous conseille l’écoute du podcast (en anglais) « A Sense of Rebellion ».

Vous y retrouverez la « fraicheur » très rock'n'roll des premiers temps de la tech et d’internet, avec cette envie de développer des technologies pleinement utiles. Ce qui n’est pas sans nous rappeler ce que je vous disais dans notre Grand Format du mois… le monde de la tech aurait pu être bien différent !

Se dessine au fil de l’écoute une vision alternative de la tech. Une tech comme outil d’amélioration de l’humain, et non pas d’« augmentation », concept tourné uniquement vers la performance, écho des obsessions d’Elon Musk avec son Neuralink.

Pour les non-anglophones, pas de panique, Le Monde Diplomatique a publié une version française d’un article de Evgeny Morozov, l’essayiste à l’origine de « A Sense of Rebellion ». Y transparaissent les mêmes idées, circonscrites à la thématique de l’IA. C’est technique, mais passionnant : « une autre intelligence artificielle est possible. »

A Sense of Rebellion

 

Voilà, c'est tout pour ce mois de septembre, et c’est déjà pas mal ! On se retrouve ainsi le mois prochain pour un neuvième numéro de Tales From The Tech.

D'ici là, n'hésitez pas à partager le format autour de vous, cela me ferait très plaisir. Et à me faire part de vos retours ! Vous pouvez le faire en commentant l'article sur tftt.ghost.io, ou directement via mes différents réseaux 🤗 

Thomas 🤌 

PS : Tales from the Tech est garanti sans IA, pas sans faute.