TFTT #16 – Trump-Musk, Microsoft-IDF : les liaisons fangeuses 💔
                    Ce mois-ci dans Tales from the Tech, vous retrouverez un numéro 16 plus court qu'à l'accoutumée, et livré en retard… quelle honte !
Pourquoi ce format plus court, et ce délai ? Et bien parce que j'ai pris beaucoup de temps ces dernières semaines pour soutenir un autre projet, dont j'ai déjà parlé plusieurs fois ici. Une initiative inspirée par la démarche low-tech nommée Lowreka, et pour lequel nous avons lancé ces derniers jours une campagne de financement participatif, importante pour la suite du projet.
Si le sujet des low-tech et de l'impact environnemental (de la tech et du reste) vous intéresse, n'hésitez pas à soutenir notre campagne ! Même quelques euros, ça peut faire la diff. En cliquant sur ce lien, vous aurez de plus l'honneur de me voir faire le pitre en vidéo, Pomme™ à la main 🍎
Merci 1000 fois 🙏


Je pensais Microsoft la moins pire des GAFAM. L'histoire la retiendra peut-ĂŞtre comme la pire des 5.
Si vous lisez TFTT depuis ces débuts, vous le savez : depuis mon départ de Microsoft, je n'hésite pas à critiquer mon ancien employeur. Le verbe haut, mais la critique juste, je pense. Ma connaissance des arcanes de la boîte me donne, je crois, une certaine légitimité sur le sujet.
Jusqu'à il n'y a pas si longtemps, je le disais sans mentir : je pensais que Microsoft, aussi dangereuse soit l'entreprise de par ses multiples monopoles, restait plus recommandable que Google, Amazon, Apple ou bien sûr Meta.
Malgré l'oubli délibéré de ses objectifs environnementaux ou de vastes vagues de licenciements en contradiction totale avec la forme économique insolente de l'entreprise, la donne n'avait pas encore totalement changé pour moi. Gates puis Nadella ne sont pas tout à fait Zuckerberg ou Jobs. Récemment encore, l'actuel CEO de Microsoft ne prenait pas la pose avec Trump, comme Sundar Pichai (Google) ou Jeff Bezos.

Pourtant, depuis le mois de mars, une sinistre petite musique se diffuse entre les pins de Redmond, ville toute entière dédiée au siège de Microsoft, placée à quelques encablures de Seattle, sur la côte du Pacifique Nord des US.
C'est ce que raconte un article du Guardian, dont je vous traduis un extrait ici :
"Pour la deuxième fois en un mois, des employés de Microsoft ont interrompu des cadres de l'entreprise s'exprimant lors d'un événement célébrant le 50e anniversaire de l'entreprise, le 4 avril. […]
Mustafa Suleyman, "AI executive", a ainsi été interrompu par les employés Ibtihal Aboussad et Vaniya Agrawal. Les deux ont été licenciées dans les jours qui ont suivi. Le président de Microsoft, Brad Smith, et l'ancien DG Steve Ballmer ont eux été conspués au Great Hall de Seattle le 20 mars, par un employé actuel, ainsi qu'un ancien employé.
La manifestation de mars a été précédée d'un rassemblement à l'extérieur, auquel ont également participé des employés, actuels et anciens, du géant de la tech. Les manifestants ont projeté sur le mur de la salle un signe lumineux où l'on pouvait lire : "Microsoft powers genocide".
« Microsoft alimente le génocide ». Microsoft permet le génocide, même, en fait. Car c'est bien de cela qu'il s'agit : Microsoft, en toute discrétion, est devenu le partenaire tech numéro 1 de l'IDF (Israel Defense Forces), c'est à dire l'armée israélienne. Microsoft fournit toute sa puissance technologique pour faciliter la destruction de Gaza.
C'est ce qu'avait révélé en janvier le Guardian, déjà , dans un autre article qui n'a sans doute pas assez fait parler de lui :
« Des documents fuités mettent en lumière la façon dont Israël a intégré le géant US de la tech dans son effort de guerre pour répondre à sa demande croissante d'outils cloud et IA."

Voilà : le supposé good guy (ou le "moins bad guy" disons) de la tech US est le partenaire numéro uno d'une armée génocidaire.
Et alors que les appels à isoler Israël sur la scène internationale se multiplient, alors que l'appellation de génocide fait (enfin),de plus en plus son chemin dans l'opinion publique, il est difficile de comprendre comment Microsoft peut continuer à faire la sourde oreille.
Faire pire que la sourde oreille, d'ailleurs. Alors que les pressions internes et externes s'intensifient, l'entreprise a réalisé deux actions ces dernières semaines :
- D'abord, partager un communiqué précisant que les technologies Microsoft, si elles sont bien utilisées par l'armée israélienne, ne le sont pas pour "blesser des personnes à Gaza". Un aveu qui n'a en soit aucun sens. Avant d'admettre que l'entreprise n'a pas vraiment "d'insights" sur la façon dont sont utilisées ses technologies…
 - Cela, avant de bloquer purement et simplement tous les mails contenant les mots "Gaza", "génocide" et "Palestine" envoyés par ses employés américains… Une décision parfaitement trumpiste.
 
Vaste fumisterie.
Je finirai cet édito par une question : quand, dans 30 ans de cela, nous regarderons en arrière sur tous les méfaits accomplis par la tech depuis le début du siècle, qu'est ce qui marquera le plus les esprits ? Cambridge Analytica ? Les manipulations de Musk via Twitter ? L'impact environnemental délirant des GAFAM ?
Sans doute un peu de tout ça. Mais le rôle de participant effectif à un génocide – car c'est par ce mot que l'histoire caractérisera la "guerre" qu'Israël mène à Gaza, quelle qu'en soit les exactions à la source – aura sans aucun doute sa place sur le podium des horreurs.


👉 Si on espère que l'idylle entre Microsoft et l'IDF va rapidement tourner court, il y a une d'idylle qui a sacrément pris du plomb dans l'aile : enfin, le torchon brûle entre Elon Musk et Donald Trump. Et c'est très réjouissant à regarder.
Bon déjà , le mot idylle est peut-être un peu fort : il y a toujours eu des bisbilles entre les deux cinglés, leurs égos combinés dépassant la surface au sol du bureau Ovale. On l'évoquait dès janvier dans TFTT.
Le niveau de violence des invectives depuis hier est cela dit assez impressionnant et sans doute inattendu, après le pot de départ très chelou mais relativement chaleureux de Musk il y a une semaine à peine.
Le lavage de linge sale a commencé avec les critiques véhémentes de Musk sur le "Big Beautiful Bill" de Trump, estimant que le texte allait mener à "la banqueroute de l'Amérique".
Trump s'est ensuite estimé "déçu" devant un chancelier allemand médusé, comme le raconte Le Monde, avant de sortir l'artillerie plus lourde, en critiquant à la fois le "travail" de Musk au DOGE et en le menaçant très clairement :
"La façon la plus simple d’économiser de l’argent dans notre budget, des milliards et des milliards de dollars, est de mettre un terme aux subventions et aux contrats gouvernementaux d’Elon. J’ai toujours été surpris que Biden ne l’ait pas fait ! »
Résultat des courses : Tesla a perdu 14% en bourse hier, alors que l'entreprise va déjà mal. Sans parler des répercutions potentielles sur Space X, dont les fusées explosent les unes après les autres.
Pendant ce temps, l'idéologue fasciste Steve Bannon ressortait des tiroirs une vielle histoire qui pourrait coûter à Musk sa citoyenneté américaine.
Musk a répliqué sans attendre. Après avoir tweeté que sans lui Trump "aurait perdu l'élection", le voilà qui agite un beau contre-feu :
"Il est temps de lâcher une grosse bombe : Donald Trump figure dans les dossiers Epstein. C’est la raison réelle pour laquelle ils n’ont pas encore été rendus publics. Bonne journée, DJT !"
Laissons-les donc se rouler dans la fange devant nos yeux ébahis, que voulez-vous que je vous dise. Et redonnez-moi du pop-corn, tiens 🍿

👉 Un ouvrage vient de sortir en librairie outre-Atlantique, et fait bruisser le monde de la tech d'échos assez plaisants (de mon point de vue). C'est de "Empire of AI" dont on parle, un livre sur Open AI et son patron Sam Altman, publié par la journaliste Karen Hao, ancienne du Wall Street Journal. Et Altman et son "Empire" naissant y sont sacrément égratignés.
Tôt dans le livre, Hao cite un extrait d'un post de blog publié par Altman en 2013 :
"Les fondateurs qui ont le plus de succès ne cherchent pas à créer des entreprises. Ils ont pour mission de créer quelque chose plus proche d'une religion, et il s'avère, à un moment, que créer une entreprise est le moyen le plus simple d'y parvenir."
La côte Ouest américaine, berceau des plus grandes boîtes de la tech de la Californie à Seattle, n'est pourtant pas une terre portée sur la religion, même si le mysticisme y a bien sa place, on l'a vu par le passé sur TFTT.
Pourtant Altman, lui, se voit visiblement bien en Jésus de l'IA.
👉 Religion et IA toujours : Léon XIV, le nouveau pape, a choisi ce nom en référence à… l'IA ?
Et oui, c'est ce qu'il a expliqué le 10 mai : "le pape Léon XIII a abordé la question sociale dans le contexte de la première grande révolution industrielle. […] De mon côté, je fais face à une autre révolution industrielle et aux développements de l'intelligence artificielle, qui posent de nouveaux défis pour la défense de la dignité humaine, de la justice et du travail."
L'IA, opium du peuple en doudounes sans manches.
👉 Pendant ce temps, Zuckerberg continue à nager dans ses délires de mec chelou. Fin avril, il est intervenu dans un podcast pour y dire ceci : "l’Américain moyen n’a que 3 amis alors qu’il en voudrait 15".
Un tel constat pourrait être adressé logiquement par la sociologie ou la psychologie, mais pas quand on est un tech-bro comme Marc. Non, Marc, lui, a la solution toute prête : vous créer des amis artificiels ! « C'est bados, Marc », conclue élégamment le média Futurism.
Alors, l'IA : Dieu ou Humain ? Ni l'un, ni l'autre mon capitaine.

👉 Quittons les délires métaphysiques pour revenir à des prises de bec bien humaines. Un article très intéressant d'Usbek & Rica évoque cette semaine "Anti-Tech Résistance", collectif techno-critique radical qui s'était fait connaître notamment en faisant irruption dans un des contre-sommet de l'IA (en réponse au dit sommet de l'IA voulu par Macron en février dernier). Un "contre-contre-contre sommet de l'IA" comme le surnomme Irénée Régnauld, en somme.
L'existence de ce mouvement prouve en tout cas qu'au sein même de la mouvance techno-critique, que j'assume représenter également avec une certaine radicalité, il y a des divergences fortes. C'est sans doute la preuve de la vivacité de la chose.
Dans le cas d'ATR, cependant, il y a des trucs qui ne sentent pas bon, avec des prises de parole qui flirtent avec l'eugénisme (comme les pires techno-enthousiastes d'ailleurs) et des dérives réactionnaires. On gardera un œil dessus.
👉 Une news qu'Anti Tech Résistance n'aurait sans doute pas couverte : saviez-vous que plusieurs nominés du Pulitzer de cette année avaient utilisé l'IA ? Mais pas de la façon que vous imaginez… On y retrouve pêlemêle :
- Une enquête du Washington Post sur Gaza, où l'IA a été utilisée pour analyser des images prises par satellite et ainsi réfuter le récit de l'armée israélienne qui tentait de se dégager de toute responsabilité dans les assassinats de nombreux journalistes.
 - Un article du Wall Street Journal a analysé, grâce à l'IA, l'évolution du ton des plus de 40 000 tweets de Musk. Ceux-ci sont ainsi passés de contenus purement business à des diatribes politiques d'extrême droite, comme chacun le pressentait. Le processus est désormais plus clair.
 - Une enquête de l'Associated Press, enfin, qui a utilisé la reconnaissance vocale assistée par IA pour traiter plus de 200 000 documents et créer une base de données nationale sur les meurtres commis par la police US.
 
Bref, pas de la fainéantise à base d'IA générative. Cette information confirme en fait assez nettement mon opinion sur l'IA : la bulle de l'IA va péter à un moment ou un autre, car une vaste part du volume d'activité associé est lié à des usages complètement inutiles, comme 95% de ce que l'on fait de l'IA générative.
Mais l'IA de manière plus générale est là pour rester, et a le potentiel pour apporter des bénéfices réels. Si tant est qu'elle soit régulée et utilisée de manière responsable... Et c'est n'est pas la direction que nous ne semblons prendre, malheureusement.
👉 Le procès des anciens cadres d’Ubisoft pour harcèlement a commencé. Un moment important, mais qui ne sera malheureusement pas le procès de l'ambiance délétère et du management défaillant de l'entreprise au sens large. Très bonne couverture du procès par Le Monde depuis son lancement, en tout cas.
👉 Ah et sinon, La Quadrature du Net révélait le 22 mai dernier que France Travail prévoyait d'utiliser des "robots" pour contrôler les personnes au chômage et au RSA. Merveilleux d’humanisme.
👉 On finit par un reportage important du Pavé Numérique : "plus de 400 startups en France misent sur l’IA. Derrière l’innovation à la mode se cache un travail de petites mains, externalisé loin des regards, le plus souvent à Madagascar."
VoilĂ , c'est tout pour ce mois de juin !
On se retrouve en juillet pour un 17ème numéro de Tales From The Tech.
D'ici là , n'hésitez pas à partager le format autour de vous, cela me ferait très plaisir. Et à me faire part de vos retours. Vous pouvez le faire en commentant l'article sur tftt.ghost.io, ou directement via mes différents réseaux.
Merci Ă toutes et tous,
Thomas ✊