TFTT #13 – À l'ère des techno-cons, sortir de nos techno-cocons 🦋

Un homme se tient au milieu du cabane dont toutes les paroies sont recouvertes de cocons de vers à soie jaunes
Minute culture : ces petites boules jaunes, ce sont des cocons de vers à soie. Eh oui ! Crédits : Pexels / Quang Nguyen Vinh

Ce mois-ci dans Tales from the Tech, pas d'Édito mais un Grand Format qui tente d'analyser cette période chaotique que nous traversons toutes et tous… et la tech avec nous. Un chaos dont j'espère voir sortir de bonnes choses, malgré tout. Étonnant ? Vous verrez bien !

Et toujours, en fin de newsletter : une sélection de brèves d'actu ainsi que des recommandations culturelles, plutôt éloignées de la tech, pour une fois.

Bonne lecture, et force à toutes et tous ✊

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Merci 🤗

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Sortir de nos techno-cocons

Ce début d'année 2025 a indubitablement une odeur de chaos. Quand on repense à ce qui nous inquiétait ici il y a un an (à savoir, à juste titre, l'impact environnemental de la tech), ce que nous vivons aujourd'hui semble en comparaison infiniment plus brutal. Même si les risques encourus dans les deux cas sont gigantesques.

Nous l'évoquions ainsi le 1er février : le techno-fascisme est advenu, et chaque jour colporte son lot d'images, d'annonces et de déclarations délirantes en provenance des États-Unis. Qui, aussi délirantes soient-elles, trouvent écho un peu partout en Europe, ou se voient opposer de bien faiblardes remontrances par nos représentants politiques.

Post sur Bluesky : "Steven Spielberg a passé sa carrière à nous avertir des dangers que posent les dinosaures et les Nazis, et je pense personnellement que nous aurions plutôt dû faire revenir les dinosaures"

La presse, elle, tente de nous éclairer, des deux côtés de l'Atlantique. Si ces analyses ne sont pas toujours au niveau, notamment parmi les médias les plus grand public (généralement possédés par des milliardaires, cela va sans dire), on note tout de même l'emploi de mots de plus en plus nets.

Des mots de ceux que l'on ne pensait jamais entendre à propos du pays phare de cet "Occident" qui nous semblait inamovible depuis des décennies. Quels sont ces mots, quelles sont ces peurs ?

On parle d'un "démantèlement" des institutions, d'une "purge" qui fait jouir les capitalo-excités à la Pierre Gattaz de ce côté aussi de l'Atlantique. On parle d'une prise de pouvoir par un milliardaire même pas élu, installant ses "loyalistes", sa "junte", au cœur des agences fédérales états-uniennes, pour accéder aux données privées des citoyens… voilà qui peut être très pertinemment appelé "un coup d'état" ou un "putsch", en effet.

Certains avancent même que la "troisième guerre mondiale" a déjà commencé, même si nous ne la reconnaissons pas comme telle, car le modèle n'est plus du tout le même qu'il y a 80 ans. Et encore, peut-être n'est-ce qu'un hors d'œuvre avant une guerre plus chaude et surtout tout-tech, si l'on en croit les dernières annonces guerrières de Google et OpenAI.

Coup d'état, guerre, arsenal nucléaire, purge, démantèlement, putsch, loyalistes, junte.

Ces mots sont forts, frappent au cœur, nous font peur. Loin de moi l'idée de nier leur réalité, ou de dire à ceux et celles qui les utilisent qu'ils en font "un peu trop quand même", comme on voit une large partie de la droite européenne nous le seriner. 

Nous vivons la renaissance du fascisme dans une version transfrontalière, protéiforme et numérique, alors aucun mot n'est sans doute assez fort pour décrire cette horreur. Les mots, ici, ont donc un sens, n'en déplaise à Donald Trump, Elon Musk ou JD Vance, en plein délire techno-impérialiste depuis quelques semaines, mettant au moins les choses au clair sur nos nouvelles relations avec « l'Amérique ».

Image du violent discours anti-démocratie et Europe de JD Vance à Munich. Crédits : Disconnect/YouTube/WhiteHouse

Techno-féodalisme, national-capitalisme, et autres trucs en -isme

Si l'on regarde les années qui nous ont mené à cette résurgence du fascisme sous une forme "techno-", on peut voir comme nous arrivons probablement à la forme finale du capitalisme :

    • L’enrichissement toujours plus spectaculaire des 0.1% les plus riches, qui protègeront leurs acquis coûte que coûte, même si la démocratie doit disparaitre dans l'opération
       
    • La dérégulation complète des marchés financiers jusqu'à l'absurde, des cotations boursières folles de la tech à l'argent magique des crypto-monnaies (exemples encore récents pour ces dernières avec Trump$ aux US ou Milei en Argentine)
       
    • Une novlangue Orwellienne à toutes les sauces, au sein de laquelle la liberté d'expression devient la censure et les faits n'ont plus de valeur, où tout devient marketing et "éléments de langage", où toute "audience" doit être "convertie", quel qu'en soit le prix
    • Enfin, et peut-être surtout : l'engoncement de tous les êtres humains dans une espèce de coque technologique, faites d'algorithmes et "d'applications", "d'appareils" et de "contenus".

Nous le disions il y a quelques numéros, nous en sommes peut-être même déjà au-delà du capitalisme. Nous pourrions bien être arrivé.e.s au stade du techno-féodalisme, nouveau régime non élu ou nous ne sommes plus que des serfs dominés par quelques "seigneurs de la donnée". Où nous ne sommes plus chacun que de petits paquets de data vendus au plus offrant.

Pourtant, tout n'est pas perdu. Déjà, parce que le modèle américain "national capitaliste" advenu sous Reagan et "perfectionné" par ce Trump 2.0 fait probablement courir les États-Unis à leur perte, comme le défend Thomas Piketty. Et que ce faisant les cartes pourraient être largement redistribuées.

Et puis aussi parce que les crises ont cela de bon qu'elles nous font tout questionner. Nos acquis, nos certitudes, nos perspectives. Des changements qui peuvent être vite oubliés (coucou le "monde d'après" le Covid), mais qui peuvent parfois s'inscrire dans la durée, voire de manière définitive.

Cette crise qui couvait depuis des années, et surgit désormais à notre porte à la faveur des brutalités trumpistes, questionne ainsi comme jamais auparavant notre rapport à la technologie.

Dépendance de nos usages technologiques aux GAFAM et aux États-Unis, impact environnemental de la tech, atomisation des liens par la faute d'un "confort" technologique toujours plus étouffant, utilité réelle et dangers des IA génératives…

Si une grande part de la presse et des politiques (de droite, dans les deux cas) se refuse à traiter ces sujets avec bonne foi, il n'empêche qu'ils font un retour en force dans les débats, en France comme ailleurs. Notamment dans des sphères où ils étaient tout à fait absents il n'y a pas si longtemps. Ce qu'un techno-critique comme moi ne pourra que saluer.

 

Posons la question : et si cette crise était une chance ? (Et si c'était la dernière ?)

"Les lueurs d'espoir ne brillent que quand il fait nuit noire" – citation de Churchill, Gandhi ou Zinedine Zidane, selon les sources.

Blague à part, cherchons ainsi une lueur d'espoir au cœur de ce sombre tableau. Dans notre n°10 nous avions déjà évoqué l'opportunité offerte à l'Europe de retrouver son indépendance vis-à-vis de son encombrant "allié" états-unien ; une opportunité plus que jamais d'actualité à la vue des tractations autour de la situation ukrainienne.

Discutons maintenant ensemble d'une autre ouverture possible : et si à l'issue de cette période de trouble intense nous parvenions à nous extraire de notre anesthésie techno-induite ?

 

Je citerai ici Asma Mhalla, qui intervenait dans le cadre d'un très beau plateau récemment chez Médiapart (l'extrait est à partir de la minute 45, si vous souhaitez l'entendre de vos propres oreilles) :

"L'initiative de David [Chavalarias, directeur de recherche au CNRS et créateur de l'initiative Hello Quitte X, NDLA] est d'autant plus intéressante qu'elle contient une dimension collective. Cette dimension collective, voilà ce que l'on a complètement oublié, par le détricotage du lien, par une espèce de solitude extrême, d'isolement des individus citoyens, repliés à l'état de consommateurs ou de "users". […]

En creux, on pourrait donc voir [cette crise] comme un moment historique de réappropriation des combats collectifs. On a gagné des droits fondamentaux à chaque fois, à l'échelle de l'histoire, quand on a su se mettre ensemble. Ce que l'on a complètement perdu, comme habitude.

Or, le contraire du collectif, ce n'est pas l'isolement… c'est le confort. Le confort de l'écran, le confort du scroll, le confort des contenus, le confort de la consommation passive. Cette bulle. On est anesthésiés. Et c'est cette désanesthésie qu'il va falloir opérer. Là, on en a une occasion historique
."
Image des invité.e.s de l'émission À L'Air Libre de Médiapart, avec dans l'ordre : David Chavalarias (CNRS), Paloma Moritz (Blast), Carine Fouteau (Médiapart) et Asma Mhalla.

Asma Mhalla ne parle pas ici du concept de "bulle" appliqué aux réseaux sociaux, ces bulles d'opinion qui nous garderaient enfermé.e.s algorithmiquement dans des groupes aux opinions similaires ; une idée justement critiquée, même si je ne la rejette pas en bloc comme certain.e.s.

Non, elle parle ici d'une bulle isolante, nous coupant de nos capacités cognitives interhumains. Nous, préférant voir le monde confortablement installé.e.s dernière une vitre, pour ne plus nous confronter à ce qui nous dérange.

Commander nos plats sur nos téléphones, livrés par des sans-papiers à qui on dit à peine bonjour. Booker nos logements de vacances sur Airbnb dans un quartier pittoresque (pittoresque pour encore 1 ou 2 ans, du moins) et ne surtout pas croiser le proprio grâce à la boite à clés. Acheter sur Temu ou Amazon et sur un coup de tête un objet dont nous n'avons pas vraiment besoin ; objet fabriqué par des esclaves (littéralement) et qui sera jeté quelques semaines plus tard pour sa piètre qualité... le tout sans avoir eu une seule interaction directe avec un humain.

C'est si pratique, pensez-vous donc. C'est au fond, on y revient, cette forme finale du capitalisme ultra-libéral : un individualisme forcené, annulant l'autre dans son existence même.

Les gens sont virtuels, l'argent est crypto-virtuel, nos conversations et bientôt nos contenus seront virtuels si ce n'est artificiels. En nous englobant dans nos techno-cocons, notion chère à Alain Damasio, la technologie nous cajole tant qu'elle nous fait oublier ce qu'il y a réellement autour de nous.

Oubliez donc que nous transformons votre monde en néo-féodalisme tech, où vos datas rendront toute résistance futile. Oubliez que les plus riches s'enrichissent plus chaque seconde pendant que les plus pauvres crèvent dans la rue. Plongez-vous plutôt dans ce tunnel ininterrompu de vidéos de chats, échangez avec notre assistant personnel qui vous connait mieux que personne, allez planter des carottes virtuelles sur Animal Crossing… voilà tout ce qu'évoque cet article de The New Yorker, en parlant lui aussi du cocon physique et mental induit par la tech.

Le confort porté comme valeur cardinale. Le moins de "frictions" possibles. Après tout, par confort, vous continuez à tweeter sur la plateforme d’un néo nazi avéré… non ?

La diatribe manque sans doute un peu de subtilité, j'en conviens. Je force probablement le trait. Et pourtant. Je crois fondamentalement à cette atomisation du lien entre êtres humains à cause de la tech, à cet éclatement des échanges en dehors de sphères déjà proches : partenaire de vie, ami.e.s et/ou famille selon les cas, collègues pour ceux et celles qui en ont.

Voilà pour moi le danger principal de la tech dans sa vision GAFAMesque, qui sous-tend tout le reste en nous isolant du vrai : radicalisation politique, consommation erratique, parole raciste décomplexée, harcèlement en ligne et toxicité… Ce n'est pas le seul facteur, mais il une pièce importante du puzzle.

La tech est de toute évidence le nouvel étendard du capitalisme, remplaçant au pied levé la sacro-sainte bagnole. De Elon Musk à Henry Ford, deux fascistes de deux époques différentes, que les voitures soient électriques ou thermiques, que l’on nous sépare derrière des pare-brise ou des vitres d'iPhone, la distanciation créée la haine, la dissociation justifie l'injustifiable.

Les smartphones rapetissent, les bagnoles grossissent, mais l’équation reste la même.

Beh oui, vous êtes comme tout le monde : plus con.ne derrière un volant ou en tweetant frénétiquement que dans la "vraie vie", face à de « vrais gens ».

Je peux en parler facilement, je suis pareil : le verbe agressif et bien haut quand je pilote une Zoé, alors je n'imagine pas avec un Land Rover entre les paluches. Idem pour mes réponses bien cinglantes pour répondre à des trolls inconnus sur les réseaux. Je suis même bien conscient d'être trop vociférant IRL, alors pensez donc. Je travaille dessus depuis des années, factuellement. Ce qui ne m'empêche pas d'être toujours vulgaire dans mes newsletters, visiblement...

Post Bluesky montrant un Cybertruck et une imitation en tôle verte, garés côte à côté sur un parking de supermarché aux US
Post Bluesky : on ne peut pas enlever aux états-uniens une grande créativité dans la parodie de leurs propres dérives.

Bon, elle est passée où, ta lueur d'espoir ? 

Oui, c'est vrai, depuis tout à l'heure, on ne se marre pas vraiment. Donc, j'y viens, à ce qui me fait espérer :

Je pense que nous vivons une période si charnière que nous allons devoir nous reconnecter aux autres différemment. L'impact environnemental de nos pratiques va nous sauter à la gueule et nous rapprocher du vivant. Notre dépendance aux GAFAM va en faire de même et nous ramener vers une approche plus organique et décentralisée de la tech, parce que plus européenne et moins hégémonique.

Et les crises politiques qui viennent doivent nous rassembler contre nos ennemis communs : nos technos-seigneurs non-élus et leurs alliés, de Trump à son "bon ami" Macron. Je ne les mets pas tout à fait dans le même panier, mais après tout je ne fais que citer ce dernier 🤷‍♂️ Et rappelons que Macron a toujours très GAFAM et US-compatible.

Suis-je en train de vous dire donc qu'il va falloir lâcher vos téléphones et vos ordinateurs et allez courir nu.e.s dans les champs ?

Non, même si une fois de temps en temps, ça ne fait pas mal. Et qu'il va en effet falloir revoir notre rapport aux écrans et à ce qui s'y affiche.

Non, car promettre un "retour à la terre" ou à un "avant les écrans" n'a aucun sens, comme le rappelle très justement Ryan Broderick dans une newsletter récente sur la situation outre-Atlantique. Il faut proposer de nouveaux modèles.

Non, car le collectif qu'appelait Asma Mhalla de ces vœux peut et doit aussi s'organiser en ligne, en dehors des plateformes appartenant aux géants de la tech ou aux bullshit-startups mené par des entrepreneurs toxiques. C'est ainsi que la résistance s'organise face à la purge menée par Musk et son DOGE.

C'est ainsi aussi que le Fediverse se construit ou que des solutions de réseaux sociaux locaux se font jour, comme le raconte cet article du Monde (même s'il faut que l'exemple vienne encore des États-Unis, dammit).

Parenthèse sur les plateformes indépendantes, d’ailleurs : ce n'est pas un hasard si Musk déteste Wikipédia. Une plateforme aussi attaquée violemment ces derniers jours en France par des médias désormais pleinement adeptes de la post-vérité, comme Le Point.

 

Cette période fait donc peur. C'est indubitable. Je n'ai pas d'enfants, mais je n'ose imaginer comme je serai angoissé par l'avenir si c'était le cas. Je pense à ma nièce, à mon neveu, et déjà, je suis inquiet.

Mais voilà. Je crois sincèrement qu'autre avenir que celui promis par nos techno-seigneurs est possible, parce qu'au fond leur pouvoir n'est pas aussi grand qu'ils le pensent. Que Musk, pour commencer, pourrait bien être de l'histoire ancienne plus vite qu'on ne l’imagine, comme nous le disions il y a peu. Et que leurs outrances nous poussent à nous éduquer aux alternatives existantes. Qu'elles soient dans la rue, sur les réseaux, ou dans nos têtes.

J'insiste : jamais autant que ces dernières semaines notre société n'a-t-elle parlé de notre rapport à la tech, de son utilité, de ses biais, de ceux qui l'orientent. Continuons ainsi et tirons-en les conséquences. Nous avons une chance unique d'y parvenir et d'orienter notre évolution vers autre chose qu'une course idiote à la surenchère sur l'IA.

L’IA, justement.

Le tout-intelligence artificielle : le baroud d'honneur des technos-cons ?

Je conclurai – longuement – sur ce qui illustre très bien tout ce que je viens de vous raconter : l'avènement de cette pseudo-ère de l'IA générative.

Cette technologie sur-hypée n'est que la dernière ruse des GAFAM et associés pour nous rendre plus débiles (dans tous les sens du terme) en tant qu'humain. Pour nous enfoncer un peu plus la tête à l'intérieur de nos techno-cocons ; en ramassant un gros pactole au passage, cela va sans dire.

Car des annonces intéressantes ont été faites en parallèle du délirant Sommet de l'IA voulu par Jupiter, initialement pour faire revenir Trump une nouvelle fois à Paris, sans succès (tant mieux). Sommet que je ne commenterai pas en détails, parce que d'autres l'ont déjà très bien fait : en version courte chez Tech Trash, en version longue chez Mais où va le web ?, par exemple.

 

Et oui, le jour même de l'ouverture du grand raout parisien de l'IA, une étude financée par Microsoft faisait un constat "amusant" : plus les gens utilisent l'IA générative, moins ils font preuve d'esprit critique. L'IA générative atrophierait ainsi nos capacités cognitives, réduisant notre aptitude à analyser le monde qui nous entoure.

Je pourrais faire le vilain et vous dire "quelle incroyable surprise" mais… bon, je viens de le faire 🙃 

Une citation de l'étude, rapportée par l'excellent 404 Media, résume bien la chose :

"L'une des principales ironies de cette automatisation est que, en mécanisant des tâches routinières et en laissant le seul traitement des exceptions à l'humain, on prive ce dernier des occasions habituelles d'exercer son jugement et de renforcer sa 'musculature cognitive'. Ce qui le laisse atrophié et mal préparé lorsque les exceptions susmentionnées se présentent."
Page de présentation du rapport évoqué ci-dessus.

Pour le dire, utilisé l'IA générative, c'est de l'auto-sabotage. Une version moderne de l'expression se mettre une balle dans le pied. En termes d'ironie, le fait que cette étude soit financée par Microsoft, l'un des principaux argentiers de la fuite en avant financière d'OpenAI, est évidemment savoureux : Microsoft fourre son IA Copilot au chausse-pied dans toutes ses applications professionnelles et éducatives, que leurs utilisateur.ices soient d'accord ou non.

C'est quand même dommage d'avoir raté ses objectifs environnementaux et acheté des centrales nucléaires tout ça pour financer un truc qui nous rend plus con. Plus con certes… mais plus performant dans la connerie, j'imagine ?

Bah, ce n'est pas comme si l'esprit critique était la dernière chose qui nous restait pour faire face au tsunami de fake news, d'informations distordues et d'hallucinations déversées ou facilitées par les outils d'IA générative, après tout.

La tech fantasmée du siècle dernier devait nous rendre plus puissant en tant qu'humain (nous "empuissanter" comme le dirait Damasio, encore lui). Elle fait tout l'inverse en réalité.

 

Les créateurs et avocats de ces outils, bien sûr, s'en moquent. Perdre ce qui fait de nous des humains ? "Pas de problème si moi, je connais les dangers, et que je ramasse la mise", en substance.

Bon exemple de ce type : les boîtes d'IA elles-mêmes demandent à ce que les candidat.e.s postulant chez elles ne boostent pas leur candidature avec des outils d'IA… l'arroseur arrosé. Il faut dire que, comme les processus de recrutement sont désormais pleinement déshumanisés pour nombre de jobs, quoi de plus logique in fine.

« Les machines parlent aux machines » ?

 

Mais je reste optimiste, là aussi : cette hype de l'IA ne fera pas long feu, c'est ma conviction. Il faut dire que, si l'on esquive les annonces en grandes pompes à coups de centaines de milliards de dollars, les mauvaises nouvelles s'amoncellent au-dessus de la "AI hype", n'en déplaise à des enthusiasts du sujet toujours plus vocaux (notamment dans mes mentions LinkedIn, quel enfer) et à des médias grand public qui étalent bien souvent leur méconnaissance du sujet.

Quelques exemples très récents :

    • Côté impact environnemental : le développement de l'IA est tel qu'il commence à avoir un impact sur la qualité de l'électricité distribuée sur le réseau, ce qui va créer des dégâts considérables comme le rapporte Bloomberg. Même chose plus proche de chez nous, en Irlande, terre d'accueil de nombreux sièges européens de boîtes de la tech. Les coûts associés à ces problèmes vont-ils bientôt dépasser les gains associés aux avantages fiscaux accordés par la petite république ?

      Attendons de voir ce qu'il sera en France, malgré ce qu'en dit Macron ("Plug, baby, plug" 🤦‍♂️). Car les impacts des datacenters sont largement sous évalués à date, et on ne commence qu'à gratter la surface de la consommation potentielle que pourrait représenter des IA génératives présentes partout, comme le rappelle à la fin d'une interview le co-concepteur français de Siri, Luc Julia.

      Et Janco le dit très bien aussi : "Il ne faut pas s'y tromper : l'IA est initialement partie d'un petit groupe d'individus qui n'ont pas d'autre besoin que de s'amuser ou de nourrir des rêves de domination parce qu'ils ont déjà tout le reste. Mais sommes-nous obligés de nous mettre dans leur sillage sans nous poser la moindre question ?"

      PS : si vous pensiez que les nouvelles en provenance de Chine (avec DeepSeek) allaient changer la donne, désolé de vous décevoir, mais je vous présente l'effet rebond.
    • Quid de son impact social ? C'est la question que pose un récent documentaire proposé par France TV, sur les "sacrifiés de l'IA". Un documentaire dont parle également cet article d'Usbek & Rica, qui n'hésite pas à évoquer "l'arnaque du siècle" à propos de ces technologies.

      Alors, certes, ça fait un moment qu'on connaît les horreurs associées à la globalisation, et ça n'empêche pas les gens de continuer à acheter des merdes sur Temu. Mais : avec 70 ans de mondialisation dans les pattes, il n'est pas impossible que la réaction se fasse un peu moins attendre.
    • Arnaque du siècle, alors l'IA ? En tout cas, au-delà de ses externalités négatives ici évoquées, on peut même questionner son impact positif direct, comme le font de plus en plus d'acteurs techno-critiques outre-Atlantique, de Ed Zitron à Brian Merchant. Ce que les géants de la tech nous vendent comme une révolution n'est en fait qu'un "choc de l'automatisation" visant donc à tout automatiser, même des fonctions qui n'ont pas besoin de l'être.

      Retirer l'humain de l'équation à tout prix… cela me ramène vers ce que je disais le 1er février : "Vous ne me retirez pas de l'idée qu'être un "AI enthusiast" et s’accommoder aisément du fascisme sont deux particularités qui semblent particulièrement bien se marier. La déshumanisation de tout est après tout un crédo commun à ces deux visions."

      D'ailleurs, Microsoft vient d'annuler des contrats de location pour des datacenters dédiés à l'IA... le début de la chute ?
    • Retour aux externalités négatives : le potentiel de désinformation de l'IA va aussi probablement lui porter préjudice, alors que les États-Unis se présentent comme un nouvel adversaire stratégique, pour le continent européen notamment. Surtout que de plus en plus de recherches démontrent que les assistants IA racontent littéralement n'importe quoi la moitié du temps.
    • Notons aussi que tous les gadgets associés à l'IA se plantent un par un, pour mon plus grand plaisir (sauf quand je pense au gaspillage de ressources associées)
       
    • Et les nouveaux projets et concepts liés aux technologies génératives sont tous accueillis avec de belles levées de boucliers par les secteurs concernées, comme ces derniers jours dans le domaine du jeu vidéo, après l'annonce bidon de Muse (encore un nom d'une grande humilité) par Microsoft et un Phil Spencer qui a l'air de plus en plus crevé par ces (ses ?) conneries.

 

Voilà. La situation est difficile, et chercher de l’espoir en ce moment est un exercice aussi complexe que salutaire. Un peu comme faire des recherches par soi-même est plus complexe mais aussi plus formateur et salutaire que d’utiliser ChatGPT… exemple au hasard.

Mais n’est-ce pas la nature humaine, de toujours espérer ?

Je finirais sur un point qui me semble important : je ne crois toujours pas que l'IA sera un jour une force toute puissante qui détruira l'humanité, Terminator-style. Le croire et en parler, c'est nous détourner du vrai problème : les humains derrière l'IA.

Car les humains derrière ces technologies sont prêts à tout pour s'enrichir, y compris aliéner totalement leurs semblables, briser tous les liens qui les réunissent.

C'est d'eux qu'il faut avoir peur. Pas des chimères qu'ils agitent sous notre nez.

Quand un milliardaire montre du doigt un nouveau proto d’IA générative, le con regarde l'IA, et pas le milliardaire caché derrière en train de joliment se foutre de vous.

Ne soyez pas un techno-con : sortez de votre techno-cocon !

Image de cocons jaunes - Pixabay / Pexels

En Bref
    • Nouvelles révélations sur Périclès, le "Projet 2025" à la française mené par le milliardaire d'extrême droite (encore un ?!) Pierre-Édouard Stérin. Plan visant notamment à faire élire 300 maires RN en 2026, avant de voir plus grand dès 2027, bien entendu.

      On en avait parlé dans les numéros 6 et 7 de "Tales from the Tech". Celui qui a arrosé la French Tech pendant des années avec Otium Capital arrose désormais beaucoup plus directement (et discrètement, c'était néanmoins le but initial) des représentant.e.s et officines de l'extrême droite.

      Parmi les nombreuses structures citées par un nouvel article publié il y a quelques jours par L'Humanité (à qui l'on devait déjà d'importantes révélations sur le sujet l'été dernier👏), on retrouve un compte tech bien connu sur Linkedin, Souveraine Tech, fort de plus 30 000 abonné.e.s tout de même (cf. le cercle rouge sur l'image). Pour résumer : n'hésitez pas à faire le ménage dans vos abonnements !
Infographie de L'Humanité sur le réseau Périclès
    • L'Associated Press vient de sortir un gros dossier, assez édifiant, sur les technologies US utilisées par l'armée israélienne dans la guerre en cours. Y sont notamment citées des entreprises comme Google et Microsoft. Particulièrement effrayant.
    • Plus sympatoche que de parler fascisme 2.0 ou guerre assistée par IA, parlons bonnes idées visant à valoriser la durabilité des appareils électroniques. L'agence mancelle Machin Bidule vient de sortir ce qu'elle appelle La Vignette Tech : des autocollants à mettre sur votre PC ou votre téléphone pour afficher fièrement depuis combien de temps vous les garder dans le but de faire changer le cool de place. Pour qu'acheter un appareil neuf tous les 2 ou 3, en plus d'être un non-sens, devienne has-been !

      Oui, bon, ok, ce n’est pas avec des autocollants qu'on va sauver le monde. Mais au moins vous aurez l'air stylé.
La Vignette Tech de Machin Bidule

Les Recos

Le lien entre la tech et un film sur un berger corse qui tient tête à la mafia locale ne semble pas évident au premier regard. Pourtant, Le Mohican le film insère la thématique des réseaux sociaux de manière assez originale, et ça fonctionne franchement bien. Comme le long métrage dans sa globalité, d'ailleurs. Une espèce de Rambo (celui de 1985, évidemment) en version réaliste et avec beaucoup plus de chèvres. Bonne surprise !

Affiche du film Le Mohican

On est également assez loin de la tech avec cette deuxième reco du mois, mais je ne pouvais pas faire autrement que vous parler d'un gros coup de cœur : Pentiment. À l'heure où le célèbre studio Obsidian (propriété de Microsoft depuis 2018, quelques années avant la frénésie de rachats puis de licenciements des Xbox Game Studios) sort son dernier né, Avowed, j'ai donc fait le mec edgy en me lançant dans le projet précédent du studio. Et c'est une sacrée baffe.

Une sorte d'hommage vidéoludique au "Nom de la Rose" d'Umberto Eco où vous suivez les pérégrinations d'un artiste dans un mystérieux village bavarois du XVIème siècle. C'est, comme souvent avec Obsidian, très bien écrit. C'est aussi très émouvant et vraiment unique en termes de proposition. Si vous aimez la littérature, l'histoire et les enquêtes au long cours, franchement allez-y, que vous soyiez un.e habitué.e des jeux vidéo ou non.

Key Art du jeu Pentiment

PS : je me suis aussi pas mal détendu devant un autre genre de jeu vidéo ces derniers temps. Tuer des nazis, voilà qui est définitivement d'actualité.


Voilà, c'est tout pour ce mois de février, et c’est déjà bien assez !

On se retrouve en mars pour un 14ème numéro de Tales From The Tech.

D'ici là, n'hésitez pas à partager le format autour de vous, cela me ferait très plaisir. Et à me faire part de vos retours. Vous pouvez le faire en commentant l'article sur tftt.ghost.io, ou directement via mes différents réseaux.

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Thomas ✊

PS : Tales from the Tech est garanti sans IA, pas sans faute.