TFTT #12 – Votre smartphone, vous le prendrez saignant ou à point ? 🩸

Iphone posé sur un table de bois sombre
Photo de Michail Sapiton sur Unsplash

Ce mois-ci dans Tales from the Tech, vous trouverez :

  • Une Note de Service pour vous souhaiter la bonne année (et plus si affinités €€€)
  • Un Édito sur la girouette Zuckerberg, inévitablement
  • L'actu tech dans une catégorie "En Bref" pour le moins fournie, ce mois-ci
  • Un Grand Format qui évoquera les conséquences humaines de la production de nos gadgets électroniques, et les solutions réelles pour y faire face
  • Des Recos culturelles aussi mystiques que technologiques

Note de Service

Cher lectorat, je vous souhaite à toutes et tous une belle année 2025. Vous me connaissez, je vous dis ça avec un optimisme mesuré en ce jour d'investiture doublé d'un Blue Monday (concept marketing fallacieux, rappelons-le tout de même)... mais je suis sincère néanmoins !

Pour ma part, si l’on met de côté les errances éthiques de la tech dès ce mois de janvier, l’année ne commence pas si mal : vous êtes désormais plus de 400 abonné.e.s à "Tales from the Tech", un grand merci 🙏

Cette première année à l’écriture de TFTT a été très enrichissante pour moi ; comme elle a été pour vous, je l’espère. Et je ne compte pas m’arrêter là, avec encore de nombreux sujets intéressants à venir, et toujours autant de critiques bien salées des dangereux énergumènes qui dirigent la tech🧂

Cela dit : comme vous pouvez vous en douter, construire un numéro de Tales from the Tech, c'est du boulot. Bavard que je suis, je n'arrive en effet que rarement à passer sous la barre des 5000, 6000 voire 7000 mots… ce qui représente au bas mot 20 minutes de lecture. Pas besoin donc de vous faire un dessin : à écrire, ça prend (beaucoup) plus de 20 minutes.

Tout cela me mène vers une réflexion : si je suis parvenu jusqu'ici à mener de front mes activités professionnelles (en freelance comme pour Lowreka) d'un côté, et celles d'auteur pour TFTT de l'autre, il est vrai que certains mois sont un peu plus serrés que d'autres. Moi qui ai parlé du besoin de ralentir il n'y a pas si longtemps, c'est embêtant.

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J'ai hâte de fêter avec vous le ou la 500ème abonné.e !

Montage hyper quali de Musk regardant dans un rétrovisuer
La tête de Musk quand il va me voir débarquer dans son rétro de mec le plus riche du monde, avec tous vos € de soutien dans les poches !

L'Édito

Un 7 janvier : Zuckerberg instrumentalise à son tour la notion de "liberté d'expression"

L'instrumentalisation de la "liberté d'expression" réalisée par Mark Zuckerberg le 7 janvier dernier (sacré timing) doit nous choquer éperdument.

Par liberté d'expression, Zuckerberg entend bien entendu supprimer toute forme de modération, toute forme de fact-checking, tout en augmentant la prégnance du contenu politique ; contenu qui était pourtant encore réduit "by design" il y a quelques semaines sur une app comme Threads... rendant son usage complètement inadéquat pour du micro-blogging 🤦‍♂️

Précisons évidemment que cette "liberté d'expression" ne s'appliquera qu'aux contenus les plus crasseux. Ceux dénonçant les dérives du modèle permissif aujourd'hui défendu par Zuckerberg et avant cela par Musk seront bien entendu censurés. Une vision de la liberté d'expression à sens unique qui dépasse d'ailleurs les plateformes elles-mêmes, Facebook censurant ses propres employés au besoin.

Zuckerberg est une girouette sans aucune valeur morale, j'en suis intimement convaincu depuis bien longtemps. Depuis l'affaire Cambridge Analytica, en fait, qui avait déjà avantagé l'extrême droite aux US comme au UK, et dont je vous parle souvent ici. Mais nous voilà désormais face à une preuve irréfutable ; et non pas un simple "virage conservateur", comme le rappelle très justement François Saltiel.

Zuckerberg, comme Musk, a toujours été un sinistre personnage. Un sinistre personnage complexé, qui se sent obligé de rappeler à tout le monde qu'il est un homme, un vrai, de manière absolument ridicule, de ses combats de MMA à ses discours virilistes pour justifier des licenciements en forme de Battle Royal bien cradingue.

Zuckerberg suit en tout cas le vent. C'était d'ailleurs déjà un 7 janvier, 4 ans plus tôt, que le Zuck avait viré Trump de toutes ses plateformes, suite à la tentative d'insurrection de 2021. Depuis, beaucoup d'eau à couler sous beaucoup de ponts.

Zuckerberg fera désormais tout pour être dans les bonnes grâces du Satanas Orange et de son Diabolo sud-africain. Puisque ces deux-là veulent tout dynamiter de la démocratie américaine, mieux vaut être du bon côté de l'explosion, hein 💥

Voir ce propriétaire terrien du numérique nous annoncer, à nous ses serfs 2.0, les nouvelles règles qui vont régir nos vies en ligne, une montre à 1 million d'euros au poignet, aurait de quoi me faire sourire de manière désabusée. Mais je n'y arrive même plus, en fait.

Il faut dire qu'il est prêt à tout, car il est en panic-mode, le Zuck, voyant les chiffres de ses différents réseaux en berne ou gonflés artificiellement. Il a même récemment tenté d'insuffler de la "vie" sur ces réseaux via de faux comptes générés et gérés par IA, avant de rétropédaler de manière grotesque.

Le changement de paradigme n'était cela dit pas si dur à anticiper, puisque le 2 janvier déjà : "Joel Kaplan, un ancien membre du staff Républicain de la Maison Blanche, remplace le Global Policy President précédent, Nick Clegg".

La transformation de Meta en nouvelle plateforme propice aux pires dérives ne fait en tout cas que confirmer un fait : il va falloir, nous européens, accélérer notre prise d'indépendance face à ces plateformes et leurs propriétaires, qui se moquent de nous un peu plus chaque jour. C'est ce que j'appelais de mes vœux dans notre n°10, et ce n'est que plus vrai aujourd'hui 🇪🇺

De Zuckerberg à Musk ou Bezos, le seul intérêt est toujours celui de l'argent. Et la haine fait vendre, fait cliquer, réagir, créée du traffic. La comparaison ne me fait pas peur : ils sont les Porsche (📸), Daimler, Volkswagen, BMW ou Siemens de notre époque. Business is business, même (et sutout) quand le fascisme menace.

Zuckerberg et sa compagne devant deux voitures Porsche
Zuckerberg et sa compagne devant deux voitures Porsche

Les Zuckerberg, les Bezos, les Musk s'en moquent, ils vivront au chaud dans leurs bunkers quand le monde sera à feu et à sang du fait de leurs méfaits.

Il y a peu, j'ai vu l'impressionnant film de Jonathan Glazer, La Zone d'Intérêt. Nous étions la veille des annonces de Zuckerberg. Mais déjà ces scènes de vie de famille décomplexées, prenant place à deux pas des camps de la mort, m'évoquaient des parallèles avec notre lunaire situation.

Vivons-nous une version moderne de La Zone d'Intérêt ? Il est encore tôt pour le dire. Mais plus le temps passe, moins les blagues sur le "point Godwin" vont être recevables.

À nous d'en tirer les conclusions qui s'imposent avant d'en arriver à de telles extrémités dystopiques. Les réactions n'ont pas tardé à se faire sentir, c'est déjà ça. X devrait également se vider de nombreux comptes progressistes aujourd'hui ; tant mieux.

En attendant, hâte de voir si Yann LeCun va continuer à jouer les chevaliers blancs, maintenant, comme nous l'évoquions dans l'édito de notre numéro 5 🙃

Affiche du film "La Zone d'Intérêt"

En Bref

L'actualité de la tech s'égrène à un rythme effréné ces derniers temps, et cela certes surtout pour nous délivrer de mauvaises nouvelles. Rapide tour d'horizon de ce mois de janvier rocambolesque.

  • Si côté édito ça ne respire pas la joie, ne boudons cependant pas notre plaisir face aux bonnes nouvelles : des signes que l'idylle entre Musk et Trump pourrait tourner court affleuraient avant même l'investiture de l'Agent Orange, ce soir. Entre l'énervement de Trump face au poids politique pris par Musk ces derniers mois, leur brouille toujours en cours sur les visas H1B, et les saillis de Steve Bannon en fond de salle...

    Qui sait si l'amicale des nouveaux nazis ne va pas se dissoudre plus vite que prévu. On peut toujours espérer.
  • L'Europe, elle, se réveille peut-être enfin ? L'UE se décide en tout cas à chercher des poux sur la tête de Musk à propos de l'algo de X. Mieux vaut tard…
  • Pendant ce temps, les rédactions de presse américaines se préparent au retour de Trump à la Maison Blanche comme elles peuvent, comme l'explique le journaliste Olivier Tesquet : "en renforçant leur sécurité informatique pour protéger leurs journalistes et leurs sources." Yep, on en est là 🥲
  • Et côté Chinois, on s'y prépare en négociant une potentielle vente de la branche US de Tik Tok (sans en parler initialement au propriétaire Byte Dance, lol) à… Elon Musk. Ce qui ressemblerait à un beau pot de vin à celui qui possède une énorme usine Tesla à deux pas de Shanghai.

    Pourquoi cette vente ? Pour éviter un bannissement de l'app aux US par la Cour Suprême, parce que l'app "manipulerait l'opinion en faveur de la Chine". L'app est d'ailleurs restée bloquée par Byte Dance quelques heures ce weekend sur le territoire américain… une manière de présenter Trump et Musk en sauveurs d’ici peu ?
  • Elon Musk toujours (désolé) : l'homme le plus riche du monde est aussi le plus chelou, nouvel épisode. Il aurait ainsi payé des gens pour jouer à sa place à Path of Exile 2 et apparaître plus haut dans les classements en ligne du jeu vidéo à la mode.

    Elon Musk, c'est finalement un peu ce blaireau de Billy Mitchell puissance 10.

Post sur Bluesky : "Internet, maintenant, c'est 5 sites dirigés par 3 personnes, toutes horribles."
  • Chaque début janvier a lieu le CES, grand-messe de la tech à Las Vegas. Chaque année y sont annoncés beaucoup de choses intéressantes, mais aussi beaucoup de gadgets à la con. En 2025, la spécialité c'était les aspirateurs-robots... à la con : un aspirateur qui peut grimper *une* marche ; un aspirateur qui peut ramasser une chaussette ; un aspirateur qui peut… vous emmener le petit dej au lit ?

    Bref : le soulèvement des robots n'est pas pour demain ; le jour où la tech fera un examen de conscience sur son utilité, non plus.
  • Mettre en danger notre liberté pour un dispositif qui ne marche même pas ? C'est le choix de nos dirigeants en ce qui concerne la vidéosurveillance algorithmique. Mais on ne va même feindre la surprise.
  • Nous en parlions brièvement le mois dernier : le Apple Vision Pro a été un flop considérable. Résultat : "Les entrepôts seraient encombrés de dizaines de milliers de pièces non livrées", comme le raconte Les Numériques.

    Top ! Et surtout, continuez à acheter votre iPhone en reconditionné, ça fait la diff… D'ailleurs, on en parle dans notre Grand Format du mois.

Le Grand Format

La fable du reconditionné, la réalité sanglante des mines de la RDC 🩸

Si vous lisez Tales from the Tech depuis quelques numéros, vous n'êtes pas sans ignorer que j'ai réalisé un virage assez conséquent dans ma carrière professionnelle et plus largement dans ma vie, passant du prototype du travailleur de la tech à une vision beaucoup plus critique du domaine, notamment du point de vue technologique.

Pour beaucoup de profils dans mon genre, en transition vers un mode de vie (un peu) plus vertueux (notamment du point de vue de l'impact environnemental de nos habitudes technologiques), se tourner vers l'industrie du reconditionné est devenu un réflexe. La France compte de nombreux acteurs sur le sujet, notamment le mastodonte BackMarket, dont les activités dépassent largement nos frontières.

Pourtant, et parce que rien n'est jamais facile, il y a beaucoup à dire aussi sur cette industrie du reconditionné. Une question simple se pose donc : acheter un appareil reconditionné, c'est vraiment mieux ?

Quels impacts ? 

Avant de répondre à cette question, il faut parler de l'impact d'un smartphone. Il est environnemental, bien sûr : épuisement des ressources, atteintes à la biodiversité dues aux rejets toxiques et l’émission de gaz à effet de serre lors de sa production, etc.

La fabrication des smartphones, de l’extraction des minerais à l’assemblage final, compte pour 75% de ces effets. Période durant laquelle un smartphone fait en moyenne 4 fois le tour de la planète, depuis l'extraction des matières premières jusqu'à la fabrication finale et la livraison jusqu'au magasin ou jusqu'au client lui-même.

Ajoutons à cela que notre utilisation actuelle de ces appareils, qui pousse à en changer très régulièrement, produit un énorme flux de déchets électroniques, qui pourrait atteindre 125 millions de tonnes d’ici 2030.

Mais l'impact n'est pas qu'environnemental. Il est aussi humain. 

Parce qu'un téléphone, aussi petit soit-il, est de fait un énorme consommateur de matières. C'est ce que rappelle l'excellent Pierre Rouvière (qui n'est autre qu'un camarade de l'aventure Lowreka) dans un article très précis sur le sujet du reconditionnement, dont est issu le tableau ci-dessous. Tableau listant tous les matériaux contenus dans cet objet, petit ordinateur si complexe qu'il dépasse de loin la puissance informatique qui était nécessaire à l'époque pour envoyer les astronautes du programme Apollo sur la Lune.

Liste des 60 matériaux présents dans un smartphone
©Ecolo mon Cul, Pierre Rouvière : 14 dilemmes du quotidien pour aller au-delà du bullshit écologique.

Des matériaux rares, disponibles en stocks limités et difficiles à extraire. Difficiles pour qui ? Pour les populations locales, surtout. Regardez ce tableau, et notez bien les lettres suivantes :

  • Au, pour or
  • Co, pour cobalt
  • Li, pour Lithium
  • Sn, pour étain
  • Ta, pour tantale
  • W, pour Tungstène

Toutes ces matières sont extraites des sols d'une richesse incomparable de la République Démocratique du Congo (RDC). Alors que cette richesse aurait pu être une chance pour le pays, lui garantissant une économie florissante à défaut d'une préservation de sa biodiversité, elle n'a été synonyme que de souffrance.

Ces quelques lettres sur un tableau périodique valent à la RDC d'être un territoire maudit. Maudit par nos appétits économiques et technologiques, ainsi que par notre invraisemblable capacité à regarder ailleurs, à ne pas vouloir savoir. 

L'horreur absolue

Car la RDC a été une colonie belge ; avant de devenir la colonie de tout ce que compte le monde d'entreprises technologiques, encore aujourd'hui. Dès l'arrivée des colons, l'histoire de la région sombre dans la violence la plus extrême. Et il faut savoir cela pour comprendre l'ampleur du drame qui s'y joue encore aujourd'hui.

Pour savoir cela, il faut écouter David Maenda Kithoko. David est né à l'Est de la RDC, il est aujourd'hui réfugié politique en France et a fondé l'association Génération Lumière qui se bat pour les oubliés des luttes écologiques.

Il vient de donner deux interviews importantes pour réveiller les consciences sur ce qui se passe dans son pays. Chez le média écolo Reporterre, tout d'abord. Et également dans l'excellent fanzine Climax, dont je vous parlais brièvement le mois dernier.

La Malédiction des Ressources Naturelles
Première page de l'interview de David Maenda Kithoko dans le dernier fanzine Climax

David raconte cette tragédie de la RDC, en y "mêlant ses connaissances scientifiques et son histoire". Elle commence à la fin du XVIIIème siècle, par un génocide : en 1885, les belges décident de punir tous ceux et celles qui n'auront pas la capacité physique de récolter le caoutchouc. En leur coupant les mains. Le cynisme absolu du capitalisme se fait déjà jour : un coup de machette, cela coute moins cher qu'une balle, alors on coupe des membres plutôt que de tuer au fusil. La population locale est ainsi décimée, passant de 20 millions de personnes à la moitié en quelques décennies.

Ce sera donc le caoutchouc d'abord, puis l'uranium, l'or, les diamants, le cuivre, et enfin le coltan. Avec toujours des arrangements entre les puissances économiques et les bandes qui terrorisent la population.

David, dans son interview chez Climax : "En 1996, il y a déjà des accords signés entre les bandes armées et des multinationales internationales de l'électronique. Ces dernières sont notamment en quête de coltan, ce qu'on va mettre dans les condensateurs des produits électroniques. […] 80% du coltan mondial provient de la RDC. Et donc tous les Nokia 3310, les Game Boy, tous les objets électroniques de l'époque contiennent du coltan. En fait, le boom de l'électronique au milieu des années 90 est soutenu massivement par le conflit armé au Congo. Et cette guerre va, entre 1997 et 2003, fait 5,3 millions de mort. […] Microsoft, Nokia, Ericsson, Samsung, puis Apple… Pas un seul acteur du numérique ne peut dire qu'il n'a pas le sang de Congolais sur sa conscience".

Aujourd'hui, la guerre a évolué, on ne coupe plus les mains. On transforme en arme d'autres types d’exactions. Le viol est notamment utilisé comme un outil de domination, industrialisé à un degré inimaginable pour s'assurer le contrôle des populations locales. David, toujours chez Climax : "je peux affirmer que pour faire un smartphone comme celui qui est posé sur cette table, il faut comptabiliser deux viols de femmes congolaises."

Cette horreur est une réalité. C'est difficile à lire, alors imaginez à vivre.

Mais mon point ici n'est pas de dire que votre degré de participation au processus qui permet cela est le même pour vous, possesseur ou posseusseuse de smartphone, que pour les entreprises qui fabriquent, commercialisent et "markettent" ces téléphones.

David Maenda Kithoko. Photo par © Alexandre-Reza Kokabi / Reporterre

Durant mes années chez Microsoft, il y a une question qui restait un tabou : celle de la provenance des matériaux permettant de fabriquer consoles de jeux et ordinateurs de la marque. Celle des conditions de travail dans les mines de Cobalt, et notamment du travail des enfants. Pendant plusieurs années, je me souviens avoir reposé la question à mes homologues américains du "siège", sans trop d'illusion. Mais on m'opposait toujours la même réponse : "c'est impossible de tracer complètement ces choses-là, nos études montrent que nous on est cleans, bla bla bla." Des preuves concrètes ? Jamais.

Vous imaginez une mine de la RDC avec de bonnes conditions de travail, quand vous lisez les descriptions faites par David ? Pas moi. Quand on connaît la prégnance des mines congolaises dans la part des gisements de métaux rares, il faut arrêter de se cacher derrière son petit doigt : les entreprises sont au courant, et s'en lavent les mains.

Début janvier, une nouvelle intéressante est en tout cas tombée : la République Démocratique du Congo attaque Apple (ou plus exactement ses filiales françaises et belges) pour usage de « minerais de conflit ». Un choix géographique pas anodin quant au passé colonial des deux pays, mais aussi quant à la réputation des juridictions locales. Les systèmes judiciaire français et belge sont en effet connus pour l’importance qu’ils accordent à la responsabilité des entreprises, à l'inverse des États-Unis, notamment. Les réponses qu'Apple apporte à la plainte, consultables dans l’article en lien ci-dessus, ne vous surprendrons pas, en tout cas. "Nous on est cleans", en substance. Pas de sang sur les mains. Bien sûr.

Il est à noter que diverses actions locales, en France et en Europe, sont également mises en place pour limiter le besoin en téléphones neufs. Des indices de réparabilité sont ainsi apposés sur de plus en plus de produits, notamment les smartphones – c’est le cas pour les téléviseurs depuis le 8 janvier, par exemple.

C’est trop peu, mais entre cela et de vrais mouvements associatifs qui prennent de l’ampleur, comme chez « HOP – Halte à l’Obsolescence Programmée », on peut garder espoir que les choses bougent.

Voilà pour la réponse collective potentielle à ce stade, celle qui doit être la plus importante ; car ce n'est pas qu'avec de "petits gestes" que l'on changera la société durablement. Il est ainsi toujours bon de rappeler que Coca Cola est le principal financeur des programmes de recyclage dans le monde, pour que ce soit à nous, individus, de trier le plastique que l'entreprise ne souhaite pas éliminer de ses chaînes de production.

Mais il n'empêche que nous devons toutes et tous apprendre à faire mieux. Alors, face à ce terrible constat, quelles solutions à votre niveau ? Et le reconditionné est-il une de ces solutions ?

Spoiler : pas sans un changement de mentalité, comme vous allez le voir.

Sur le papier, il n'y a pourtant pas photo, comme le rappelle un autre article de Reporterre : "Chaque Français change de smartphone en moyenne tous les deux à trois ans, constate l'ADEME [organisme important et pas encore supprimé malgré les bêtises débitées par Valérie Pécresse sur le sujet, NDLA]. Or, 80 % de l’impact environnemental de cet objet connecté est lié à sa fabrication.

En achetant un appareil de seconde main, vous faites des économies — de 20 % à plus de 70 %, selon les modèles — mais aussi une bonne action pour la planète. L’ADEME a calculé qu’investir dans un téléphone reconditionné à la place d’un neuf permet, pour chaque année d’utilisation, d’éviter l’extraction de 82 kg de matières premières, l’émission de 25 kg de gaz à effet de serre et la consommation de 20 500 litres d’eau."

La source principale des appareils reconditionnés : la surconsommation

Le problème, c’est que pour accéder à des téléphones d’occasion, il faut qu’ils aient été neufs, et préférablement il n’y a pas trop longtemps… Traduction : c'est parce que nous consommons trop de téléphones que nous pouvons en acheter de seconde main.

Toujours selon Reporterre, une bonne partie des iPhones (qui reste le téléphone le plus acheté en reconditionné, notamment en France) disponibles sur des plateformes européennes comme BackMarket proviennent en fait des États-Unis. Pourquoi ? À cause du très efficace système de "buy back" d'Apple, qui rencontre un succès grandissant outre-Atlantique. Le principe est simple : en l'échange d'un achat tous les 6 mois ou un an du dernier iPhone en date, neuf, Apple vous rachète à un très bon prix votre "vieux" téléphone. Les guillemets ont tout leur sens ici.

Le processus de renouvellement des flottes de téléphones des grandes entreprises américaines fonctionnant de la même manière, les constructeurs peuvent ainsi vendre en tant que "reconditionné" et en direct un très grand nombre de téléphones très récents, et inonder les reconditionneurs du marché, accessoirement.

Bref, il faut vous enlever l'idée de la tête que ce beau téléphone reconditionné que vous avez acheté a été revendu par Monsieur Durand parce qu'il a changé d'avis et que finalement "un vieux téléphone à clapet c'était vachement sympa". Si vous achetez un iPhone de moins d'1 an sur une plateforme de reconditionné, c'est que quelqu'un vient d'acheter un téléphone encore plus récent, ce qui reste foncièrement ridicule quand on connaît l'inexistence des différences techniques réelles entre modèles de smartphone d'une année sur l'autre.

Votre téléphone arrive des US ? Bah, ce n'est sans doute pas le pire : il a peut-être voyagé beaucoup plus que ça, car rappelons que ce ne sont généralement pas les plateformes comme BackMarket qui font le reconditionnement technique, ce sont des ateliers remplis de petites mains qui le font aux quatre coins du monde.

L’un des plus gros reconditionneurs européens, Foxway, est ainsi basé en Estonie. Mais d'où viennent les téléphones qui y sont reconditionnés, et les composants utilisés pour réaliser les réparations éventuelles ? Ça, personne ne le sait vraiment.

Reporterre à nouveau : "Pour le consommateur, il est généralement impossible de connaître l’origine du téléphone, quelles pièces détachées ont été changées, d’où elles viennent, s’il s’agit de pièces neuves ou de seconde main. Lors d’une enquête menée en 2020 et 2021, la Répression des fraudes pointait un certain manque de transparence quant à la traçabilité des téléphones reconditionnés : 62 % des professionnels contrôlés étaient dans l’incapacité de fournir les informations relatives à la provenance des produits."

Les objets reconditionnés ont la bougeotte, et ce n'est pas terrible. Il en va de même pour l'occasion dans beaucoup d'autres domaine, comme les vêtements que l'on trouve dans nos "friperies", qui font généralement 2 ou 3 allers-retours autour du globe avant d'arriver là. Super.

Obsolescence logicielle vs. obsolescence perçue

Mais il y a pire : qui dit reconditionné ne dit pas forcément longévité. Et ce n'est pas parce que les réparations sont mal faites. Nope, c'est bien à cause de l’obsolescence logicielle des smartphones, alors même qu'encore une fois, il n'y pas eu de réels progrès techniques sur leurs composants depuis de nombreuses années désormais.

Car si un utilisateur ou une utilisatrice veut accéder aux applications qu'il ou elle utilise au quotidien, des applications généralement mal optimisées pour fonctionner avec des versions plus anciennes du système d'exploitation, ça coince assez rapidement. Et il ou elle ne se pose alors pas bien longtemps la question du "besoin" d'un nouveau téléphone.

Je peux prendre un exemple récent que je trouve particulièrement ridicule, depuis mon retour à Paris en décembre : pour pouvoir utiliser votre iPhone en guise de Passe Navigo (et vous éviter le bazar du nouveau système de cartes réutilisables de la RATP) il vous faut avoir la version 17.5 d'iOS. Une version qui est sortie… en mai dernier !

Votre téléphone a plus de 2 ou 3 ans et vous ne voulez pas faire l'update de peur de voir le tout se gripper ? Et bien c'est foutu pour vous. Mon iPhone commençant à se faire vieux, il n'y a pas moyen que je prenne le risque de lui mettre la dernière version d’iOS dans les dents… Que c'est frustrant de voir des structures publiques réfléchir aussi peu à l'accessibilité technologiques de leurs services.

Et puis il y a aussi l’intangible, comme le rappelle Pierre chez Vert : "l’obsolescence logicielle laisse sa place à l’obsolescence perçue. Ces précieux monolithes qui contiennent l’entièreté de nos vies sont aussi des biens au caractère ostentatoire : bienvenue dans la société de consommation. En encourageant le renouvellement des appareils, les entreprises stimulent la comparaison sociale et le désir de nous différencier de nos semblables en achetant leurs produits dernier cri – quand bien même ils présentent des innovations mineures. Un comportement induit qui contribue à notre quête de statut social et d’identité, via l’achat et la possession de biens matériels."

Des pistes pour changer tout ça

Tout cela m'amène vers une conclusion simple : le reconditionné, c'est mieux, mais pas si ce n'est accompagné d'aucune prise de conscience par ailleurs ; prise de conscience qui mènera vers une diminution de la fréquence d'achat.

Acheter moins est la clé de tout sur ce point, comme le montre ce graphique ci-dessous.

Comparaison des résultats marché sur six ans pour l’indicateur Changement climatique – approche par amortissement. © Pierre Rouvière, adapté de l’ADEME

À partir de là, il y a l'évidence : je pense déjà que s'habituer à se poser la question du besoin réel avant tout achat est d'une pertinence réelle, plus que jamais. Surtout pour des investissements importants comme ceux ayant trait à l'électronique. À moins d'être franchement riche, vous ne vous achetez pas un smartphone sur un coup de tête.

Donc ajoutez ces considérations d'impacts dans votre réflexion, et demandez-vous si vous avez vraiment besoin du dernier smartphone dispo, tout ça parce que vos photos sont soi-disant "un peu floues", ou parce qu’il dispose d’une IA générative (que vous n’allez pas utiliser, à part pour gagner 20 secondes dans la rédaction d’un message, 20 secondes que vous perdrez aussitôt en doom-scrollant sur Instagram).

Ensuite, dirigez-vous soit vers des téléphones éco-conçus comme ceux proposés par Fairphone, ou bien vers du reconditionné, mais pas n'importe comment, donc : pas tous les deux ans, et avec de bons partenaires.

Quels partenaires ? On peut évoquer Quel Bon Plan, dont tous les produits sourcés et tous les reconditionneurs sont basés en France, ou Ecofone, qui ne vend que des appareils datant de plus 6 ans.

Il y en a qui vont encore plus loin, comme Ekimia, qui propose uniquement des appareils reconditionnés sur lesquels est installé eOS Android, un système d’exploitation libre issu d’un projet d’intérêt public à but non lucratif créé en 2018 par eFoundation. Une méthode qui permet de se libérer de l'obsolescence logicielle imposée par les constructeurs.

Ces réponses peuvent sembler dérisoires par rapport à l’horreur que je vous décrivais un peu plus haut. Elles le sont assurément. Mais c’est en changeant nos comportements, en faisant la pression sur les pouvoirs publics, en soutenant les associations qui agissent sur le sujet, que nous ferons bouger les choses.

Ces actions peuvent donc sembler dérisoires. Mais dans ce cas, comme la vie doit aussi nous sembler dérisoire, quand l’on voit ce sur quoi nous sommes capables de fermer les yeux – les morts et les sévices subis par d’autres humains à quelques heures d’avion à peine – tout ça pour acheter un putain de nouveau téléphone 🫥

Les recos

Si vous vous intéressez à la tech et à son impact sur la société, ce qui est probable si vous êtes un lecteur de cette newsletter, vous avez sûrement vu "Her", le film de Spike Jonze sorti en 2013.

Anecdote amusante, le film serait sensé se dérouler dans un 2025 fictionnel, alors on ne peut s'empêcher de faire un parallèle entre la vision de l'intelligence artificielle interpersonnelle qui y est proposée, et notre réalité présente.

Eh bien, si je me souviens du vertige ressenti à l'époque de mon visionnage du film, il y a peine plus de 10 ans… j'en ressens un second aujourd'hui. Parce que je me rends compte que ce qui me faisait peur dans le film à l'époque, m'apparaît presque comme anodin et mignonnet aujourd'hui, en comparaison avec ce à quoi l'IA générative est en train de nous exposer démocratiquement, socialement et écologiquement.

Bref, si vous n'avez pas vu Her, faites-vous un cadeau : regardez-le. C'est pour moi un vrai chef d'œuvre d'anticipation, et à la fois le moins "SF" des films des science-fiction.

Vous l'avez déjà vu ? Je ne pense pas que le revoir pose problème à l'aune des changements que nous vivons actuellement.

Affiche du film Her

La deuxième reco du mois est moins clairement liée à la tech. Et pourtant : la série espagnole La Mesías, dispo sur ARTE, est une fable mystico-familiale très impressionnante qui parle aussi de la puissance des moyens de communication modernes.

Surtout, on y voit en milieu de récit une scène "sous influence" utilisant avec succès les possibilités offertes par l'intelligence artificielle ; chose que vous ne m'entendrez pas souvent dire.

Une utilisation qui me rappelle celle faite par des artistes pour un clip du cultissime groupe psyché français Magma, projet auquel j'avais eu la chance de participer à l'époque où je bossais encore pour Shadow.

Bref, c'est une anecdote. Alors que la série La Mesías est tout sauf anecdotique. Jetez-vous dessus !

Affiche de la série La Mesias

Voilà, c'est tout pour ce mois de janvier, et c’est déjà bien assez.

On se retrouve en février pour un treizième numéro et les un an de Tales From The Tech.

D'ici là, n'hésitez pas à partager le format autour de vous, cela me ferait très plaisir. Et à me faire part de vos retours. Vous pouvez le faire en commentant l'article sur tftt.ghost.io, ou directement via mes différents réseaux.

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Thomas ✊

PS : Tales from the Tech est garanti sans IA, pas sans faute.