TFTT #BONUS – Une belle hausse de 29%, bravo Microsoft 🙃

Le leadership de Microsoft en photo à l'occasion des annonces environnementales de début 2020
"A post that did not age well" – Image : Microsoft

AprĂšs avoir cassĂ© le format de « Tales from the Tech Â» la semaine derniĂšre, voilĂ  que je casse le rythme. Rien ne va plus.

Bon, il faut dire que ce rĂ©cent cassage de format vous a visiblement plu : c'est le meilleur numĂ©ro de TFTT en termes de taux d'ouverture et de clics, et ce « malgrĂ© Â» une audience grandissante. Merci Ă  toutes et tous !

Mais voilĂ  : une incartade en amenant Ă  une autre, je vous propose aujourd'hui, une dizaine de jours seulement aprĂšs le numĂ©ro 4 de TFTT, un Ă©dito bonus – rassurez-vous, je ne compte pas faire cela tous les mois.

Sans parler du timing, je me suis longuement posĂ© la question de la pertinence de publier cet Ă©dito, dont le sujet principal sera le dernier "environnemental sustainability report" de Microsoft – un rapport publiant, chaque annĂ©e, les Ă©volutions associĂ©es aux objectifs de rĂ©duction de l’impact environnemental de l’entreprise. 

Pourquoi cette hĂ©sitation ? D'une part parce que le sujet a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© traitĂ© par nombre d’excellents commentateurs de l'Ă©conomie numĂ©rique et du dĂ©veloppement durable, comme Tristan Nitot ou Jean-Marc Jancovici. D'autre part parce que la semaine derniĂšre, dans TFTT, j'ai dĂ©jĂ  longuement tapĂ© sur mon ancien employeur, Ă  propos de sa stratĂ©gie dans le gaming. A force, ces prises de position trĂšs critiques pourraient commencer Ă  ressembler Ă  une vendetta personnelle.

Mais, finalement, j'ai pris un peu de recul. Ce faisant, il m’apparaĂźt Ă©vident que ma prise de parole peut apporter un Ă©clairage diffĂ©rent. Si je parle autant de Microsoft, c'est parce que je connais bien l'entreprise, que j’ai dĂ©cidĂ© de quitter en janvier 2022. Mais c’est surtout parce que j'ai pris part personnellement aux diffĂ©rentes annonces que je critique : le gaming, la semaine derniĂšre, et le dĂ©veloppement durable, ici, Ă©taient justement deux des principaux axes de mon portefeuille de responsabilitĂ©s quand j'Ă©tais encore "communications manager" chez Microsoft France. J’ai portĂ© avec mon nom propre ces anciennes dĂ©clarations. Si elles devaient s’avĂ©rer mensongĂšres ou trompeuses, j’ai participĂ© Ă  diffuser des mensonges ou des tromperies.

Mais, et c’est le plus important, si je parle autant de Microsoft dans TFTT, ce n’est pas par envie d’une revanche, d’une rĂ©demption, ou je ne sais quoi. C’est simplement que TFTT est une newsletter techno-critique, et que dans ce domaine, Microsoft fait absolument n'importe quoi depuis fin 2021-dĂ©but 2022 ; date coĂŻncidant avec ma dĂ©mission puis mon dĂ©part. J’insiste sur la notion de coĂŻncidence ici, mĂȘme si rĂ©trospectivement, certains signaux (comme la sortie de Windows 11 en octobre 2021) ont pu accĂ©lĂ©rer cette dĂ©cision – j’y reviendrai.

Revenons maintenant Ă  ce sustainability report, publiĂ© le 15 mai dernier. Il n'a pas fait tant de bruit que cela chez nous, hormis ce gros article des Échos, repartagĂ© par Jancovici. Il faut dire que l'on est dĂ©jĂ  passĂ© Ă  la polĂ©mique suivante, liĂ©e Ă  l'IA, sans surprise.

Sont-ce des champignons hallucinogĂšnes ?!

Avec ce report, c’est indĂ©niable : Microsoft fait fort. AprĂšs avoir, en 2 ans, dĂ©truit toute la nĂ©o-crĂ©dibilitĂ© qu'elle s'Ă©tait construite dans l'univers du jeu vidĂ©o, voici donc que l’entreprise dĂ©cide d'en faire de mĂȘme sur la partie environnementale.

Microsoft avait en effet été le premier des grands de la tech à dégainer des objectifs hyper ambitieux pour réduire son impact environnemental, en début 2020. Mais je ne vais pas vous refaire l'histoire, je l'ai déjà raconté en détails dans le premier numéro de cette newsletter, qui évoquait le technosolutionnisme.

Voici cependant ce par quoi je concluais cet Ă©pisode datant de fĂ©vrier dernier : "Car de chapelle, avant, j’en avais une dans le domaine de la Tech. Microsoft. J’y ai bossĂ© durant des annĂ©es extrĂȘmement enthousiasmantes, oĂč j’ai appris Ă©normĂ©ment. Je n’aurais jamais rejoint Google, Apple, Amazon ou Meta. Je voyais en Microsoft quelque chose de diffĂ©rent, de plus responsable, une expĂ©rience plus ancienne qui protĂ©geait des dĂ©rives. De la mĂȘme maniĂšre, Bill Gates est Ă  mes yeux un milliardaire plutĂŽt responsable Ă  l'aune de sa gigantesque fortune, si on le compare avec ses collĂšgues Ă  richesse analogue.

Je crois encore en cette diffĂ©rence, pour Gates comme pour Microsoft. Mais j’ai peur que cette derniĂšre, dans son empressement Ă  prendre le virage de l’intelligence artificielle avant les autres, enterre bien vite ses ambitions environnementales. Elle tient pour le moment un double discours, opposant Ă©thique et business dĂ©rĂ©gulĂ©, difficilement tenable sur le temps long."

Et bien voilĂ , ce temps est arrivĂ© plus vite que je ne l'escomptais. Trois mois se sont Ă©coulĂ©s entre la publication de ce texte et celle du rapport environnemental annuel 2024 de Microsoft, et c'est officiel : je ne crois plus en cette diffĂ©rence. Microsoft ne vaut pas mieux que les autres. Cela m'afflige de le dire, mais je m'Ă©tais trompĂ© sur toute la ligne, comme je commençais Ă  le comprendre dans cet extrait citĂ© juste au-dessus. NaĂŻvetĂ© de ma part ? Peut-ĂȘtre.

Car, trĂȘve de suspens, qu'a rĂ©vĂ©lĂ© ce rapport environnemental de Microsoft ; que l'entreprise a au moins la dĂ©cence de continuer Ă  publier, pour le moment ?

Les Ă©missions de CO₂ de Microsoft ont augmentĂ© de plus de 29% depuis 2020. Sa consommation d’eau, de 23 % sur la mĂȘme pĂ©riode. Ce qui creuse un Ă©cart considĂ©rable par rapport aux objectifs fixĂ©s, comme on peut le voir sur le graphique ci-dessous. Dans ce cadre, comment l'entreprise pourrait-elle atteindre ses ambitieux objectifs environnementaux ? La rĂ©ponse est simple : elle ne le pourra pas. Peu importe ce que tente de justifier son PrĂ©sident, Brad Smith. La cause de ce dĂ©rapage, vous la connaissez dĂ©jĂ  : le dĂ©veloppement de l’IA, qui a fait exploser la consommation en Ă©lectricitĂ© et en eau des datacenters de l'entreprise, ainsi que leur nombre.

Je ne sais pas vous, mais j'ai l'impression que les courbes ne vont pas se recroiser de sitĂŽt. Source : Bloomberg

D'autant que Microsoft, au-delĂ  de ses propres innovations dans le domaine, est le principal investisseur d'Open AI. L'enfant terrible mais surtout le leader technique et mĂ©diatique du domaine de l'intelligence artificielle. Une entreprise portĂ©e par le JĂ©sus autoproclamĂ© du milieu, Sam Altman – lui-mĂȘme inquiet de la consommation Ă©nergĂ©tique induite par les Ă©volutions de l'IA.

Sam Altman : un Elon Musk de l'IA, Ă  ce stade un peu plus frĂ©quentable, mais dieu sait pour combien de temps. Open AI : une entreprise dont le dernier coup de maĂźtre est assez symptomatique. Car aprĂšs nous avoir expliquĂ© Ă  longueur d'interviews (rarement rĂ©ussies) que, non, l'IA ne vole pas les artistes – voici qu'elle se retrouve Ă  voler la voix de Scarlett Johansson en guise de rĂ©fĂ©rence questionnable au film "Her".

Se pose selon moi surtout une question, désormais. Microsoft a-t-il un cap stratégique clair ? Parce qu'à regarder ces derniÚres années, on peut vraiment se le demander. Quelques exemples :

  • L'entreprise, en faisant ses annonces "durables" en 2020, n'avait-elle pas anticipĂ© l'avĂšnement de l'IA Ă  peine quelques annĂ©es plus tard, avĂšnement qui met Ă  bas tous ses calculs prĂ©existants ? A moins, bien sĂ»r, que tout cela n'ait Ă©tĂ© envisagĂ© que comme une stratĂ©gie de greenwashing depuis le dĂ©but đŸ€”
  • Sur le mĂȘme axe, dĂšs 2021 avec l’annonce puis la sortie de Windows 11, on pouvait dĂ©tecter un double discours difficilement tenable. Comment afficher des objectifs environnementaux trĂšs ambitieux tout en poussant Ă  la benne des dizaines de millions de PC encore fonctionnels mais plus compatibles avec ce nouvel OS ? Car la fin de support de Windows 10, c’est pour l’an prochain 🗑
  • Et que dire de ces recrutements massifs pendant et Ă  la suite du covid ? L'entreprise n'avait visiblement pas anticipĂ© que les courbes records entrevues pendant les confinements liĂ©s Ă  la pĂ©riode n'allaient pas durer. RĂ©sultats des courses : des licenciements records, des vies brisĂ©es, une image lĂ  encore largement Ă©cornĂ©e đŸ˜·
  • CĂŽtĂ© gaming, enfin. AprĂšs des rachats plĂ©thoriques et gigantesques, se font jour des errements stratĂ©giques absolument hallucinants. LĂ  encore, j'ai dĂ©jĂ  Ă©voquĂ© largement le sujet le mois dernier, mais rĂ©sumons avec l'exemple du studio Tango Gameworks. AprĂšs avoir fait du pied aux dĂ©veloppeurs japonais pendant des annĂ©es, la division Xbox dĂ©cide de fermer le seul studio dont elle dispose sur le sol nippon ! Et que dire de cette citation de Matt Bounty*, le boss des Xbox Game Studios : "nous avons besoin de plus petits jeux qui nous offrent du prestige et des rĂ©compenses." Comme Hi-Fi Rush, l’excellent dernier titre de... Tango Gameworks, par exemple ? đŸ€Šâ€â™‚ïž

Microsoft serait devenu un poulet sans tĂȘte ? Ou, comme tous les autres gigantesques groupes de la tech, il est dĂ©sormais impossible de le diriger de maniĂšre cohĂ©rente ? La machine est si grosse qu'elle devient impossible Ă  manƓuvrer correctement ? Ce serait chercher Ă  ses dirigeant.e.s des excuses qu'iels ne mĂ©ritent pas. Le profit reste Ă©videmment la seule valeur cardinale. Et peu importe l’humain et les valeurs : le cours de bourse de Microsoft bat encore des records ces derniers jours.

A titre plus personnel, je commence Ă  me poser quelques questions. Un an aprĂšs mon dĂ©part d'Ubisoft surgissaient les Unes – salutaires – sur les affaires de harcĂšlement au sein de l'entreprise. Je viens de faire Ă©talage de ce qui s'est passĂ© pour Microsoft depuis mon dĂ©part. Autant vous dire que je ne donne pas cher de l'avenir de Shadow. Serais-je donc un "porte-malheur" ? Maintenant en freelance, j'essaye de transmettre la poisse Ă  un maximum de clients đŸ˜±

Blague Ă  part : je n'en voudrais pas Ă  mes anciens collĂšgues de Microsoft d’ĂȘtre Ă©nervĂ©.e.s par mes diatribes pour de bon, avec "l'acharnement" dont je fais preuve Ă  l'Ă©gard de mon ancienne entreprise. Mais plutĂŽt que de me porter grief, je leur demanderais assez sereinement de considĂ©rer la question suivante : est-il pertinent de continuer Ă  reprĂ©senter une entreprise qui est capable Ă  ce point de dire tout et son contraire, et cela en l'espace d’une poignĂ©e de mois Ă  peine ?

L'avantage, avec Amazon, Meta, ou bien encore toutes les entreprises que touche Elon Musk de prĂšs ou de loin, c'est qu'elles n'essayent mĂȘme pas de faire semblant. Et de conclure : entre les vrais mĂ©chants et les faux gentils, je ne sais pas ce qu'il y a de pire.

Naaan, mais il avait pas l'air mĂ©chant comme ça ! (Image : Usual Suspects)

PS : promis, je ne parlerai pas de Microsoft dans le numéro 5 de TFTT (bon, sauf si l'entreprise annonce encore des dingueries d'ici là).

*J’ai volontairement Ă©corchĂ© son nom, comme il n’a mĂȘme pas Ă©tĂ© capable d’écrire correctement le nom des studios dont il annonçait le siphonnage dans son email diffusĂ© en interne chez Bethesda et Microsoft đŸ€Ą